3.1 Définitions et exemples

Dans un cours comme celui-ci, le chapitre sur les suites représente le premier dans lequel on rencontre pour la première fois quelques-unes de difficultés centrales de l'analyse. En particulier, on y discutera pour la première fois de la notion de limite.

Si on souhaite aborder quelques-unes des principales difficultés liées aux suites et à l'analyse, de manière informelle, en évitant le langage mathématique (qui est souvent responsable du blocage des novices), on pourra consulter le texte suivant: [PDF: Le marchand de billes].
Définition
Une suite est une famille infinie ordonnée de réels, indexée par des entiers: \[a_{n_0},a_{n_0+1},a_{n_0+2},\dots\] On utilisera la notation compacte suivante: \((a_n)_{n\geqslant n_0}\)

La suite peut commencer par un indice \(n_0\) quelconque, mais le plus souvent on considérera \(n_0=0\) ou \(n_0=1\). Quand le premier indice n'importe pas ou peu (ce qui sera le cas lorsqu'on étudiera le comportement de \(a_n\) pour des indices \(n\) grands), on écrira parfois \((a_n)\) au lieu de \((a_n)_{n\geqslant n_0}\).

Représentations

On se représente en général une suite \((a_n)_{n\geqslant 1}\) de deux façons.

La façon la plus simple est de la représenter simplement comme un ensemble de points sur la droite, \(\{a_1,a_2,\dots\}\subset \mathbb{R}\):

Du fait que cet ensemble est ordonné, cette image peut aussi s'interpréter comme une trajectoire: une particule est au point \(a_1\) au temps \(n=1\), puis au point \(a_2\) au temps \(n=2\), etc.

Mais une façon plus intuitive de se représenter une suite est de la voir comme le graphe d'une fonction \[\begin{aligned} f:\mathbb{N}^*&\to\mathbb{R}\\ n&\mapsto f(n):= a_n\,. \end{aligned}\] Ceci revient à représenter les paires de points \((n,f(n))=(n,a_n)\) dans le plan cartésien:

Exemples

Souvent, une suite est définie simplement en disant comment le \(n\)-ème terme \(a_n\) se calcule explicitement en fonction de l'indice \(n\). Lorsqu'une suite est définie ainsi, chaque terme peut être calculé directement, indépendamment des autres, à l'aide d'une formule.

Exemple: Soit \((a_n)_{n\geqslant 1}\) la suite définie ainsi: pour chaque \(n\geqslant 1\), \[ a_n=\frac{3n^3+n-5}{5n^2+7}\,. \] Dans cet exemple, \(a_{10'000}\) peut se calculer directement, sans avoir forcément besoin de calculer les autres.

Exemple: Soit \((a_n)_{n\geqslant 0}\), définie ainsi: \(a_0=\frac{1}{3}\), puis pour tout \(n\geqslant 1\), \[ a_n=4a_{n-1}(1-a_{n-1})\,. \] Cette suite est définie par récurrence: à part le premier, chaque terme est défini en fonction du précédent. Donc on ne peut calculer \(a_{10'000}\) que si on a déjà calculé \(a_{9'999}\), \(a_{9'998}\), etc. Ce type de suite sera étudié dans un chapitre à part.

On peut définir une suite de façon tout à fait arbitraire, ce qui mène rapidement à des suites difficiles à étudier:

Exemple: Considérons l'expansion décimale du nombre \(\pi\), \[ \pi=3.1415926535897932384626433\dots, \] et définissons la suite \((a_n)_{n\geqslant 1}\), comme suit: \[ a_1=1\,,\quad a_2=4\,,\quad a_3=1\,,\quad a_4=5\,,\quad a_5=9\,,\quad a_6=2\,,\quad\dots \] Plus précisément: \(a_n\) est l'entier représentant le \(n\)-ème chiffre après la virgule dans l'expansion décimale de \(\pi\). Une suite facile à définir, mais très difficile à étudier...

Donc plus tard, quand on dira ''soit \((a_n)\) une suite'', il faudra garder à l'esprit que cela signifie que chacun de ses terme est bien défini, mais qu'un terme n'a pas forcément de lien avec les autres.
Suites majorées, minorées, bornées

Une propriété simplificatrice, pour une suite, est que ses termes ne soient globalement pas trop grands:

Une suite \((a_n)\) est
  • majorée si il existe une constante \(M\) telle que \(a_n\leqslant M\) pour tout \(n\),
  • minorée si il existe une constante \(m\) telle que \(a_n\geqslant m\) pour tout \(n\),
  • bornée si elle est à la fois majorée et minorée.
Une suite bornée est une suite qui ''vit'' dans un intervalle, dans le sens où on peut trouver deux nombres finis \(m\lt M\) tels que \[a_n\in [m, M]\quad \forall n\,.\]

Exemple: Considérons la suite \[a_n=1-n^2\,,\qquad n\geqslant 0\,. \] Alors \((a_n)_{n\geqslant 0}\) est majorée. En effet, \(n^2\geqslant 0\) pour tout \(n\), et donc \[a_n=1-n^2\leqslant 1\,,\qquad \forall n\geqslant 0\,.\] et donc en prenant \(M=1\), on a \(a_n\leqslant M\) pour tout \(n\).

Par contre, \(a_n\) n'est pas minorée (et donc pas bornée). En effet, montrons que pour toute constante \(m\), il existe un indice \(n\) tel que \(a_n\lt m\). Ceci est vrai lorsque \(m\geqslant 0\) puisque \(a_n\leqslant 0\) dès que \(n\geqslant 1\). Si maintenant \(m\lt 0\), alors \(a_n=1-n^2\lt m\) si et seulement si \(n\gt\sqrt{1-m}\) (on a simplement résolu l'inéquation). Donc en prenant n'importe quel entier \(n\) plus grand que \(\sqrt{1-m}\), on a bien que \(a_n\lt m\). Ceci montre qu'il n'existe aucun minorant pour cette suite.

Exemple:

Considérons la suite \[a_n=2\sin(5n+1)-3\cos(\sqrt{n})\,,\qquad n\geqslant 0\,.\] Puisque \[\begin{aligned} |a_n| &=\big|2\sin(5n+1)-3\cos(\sqrt{n})\big|\\ &\leqslant|2\sin(5n+1)|+|-3\cos(\sqrt{n})|\\ &= 2|\sin(5n+1)|+3|\cos(\sqrt{n})|\\ &\leqslant 2+3=5\,, \end{aligned}\] la suite est bornée: \[ -5\leqslant a_n\leqslant +5\,,\qquad \forall n\,. \]

Exemple: La suite \((a_n)_{n\geqslant 1}\), où \(a_n:= n\)ème chiffre de l'expansion décimale de \(\pi\) en base \(10\), est bornée, car minorée par \(0\), et majorée par \(9\).

Exemple: La suite \(a_n=(-1)^nn\) n'est pas majorée. En effet, fixons un seuil \(M\gt 0\) (sous-entendu: aussi grand que l'on veut), et prenons un entier pair \(n=2k\) quelconque, tel que \(k\gt M/2\). On a alors \[ a_n=a_{2k}=(-1)^{2k}2k=2k\gt M\,.\] Cette suite n'est pas minorée non plus. En effet, fixons un seuil \(m<0\) (sous-entendu: aussi grand que l'on veut, négatif), et prenons un entier impair \(n=2k+1\) quelconque, tel que \(k\gt -(m-1)/2\). On a alors \[ a_n=a_{2k+1}=(-1)^{2k+1}(2k+1)=-(2k+1)\lt m\,.\]

Suites monotones
Une suite \((a_n)\) est
  • croissante si \(a_n\leqslant a_{n+1}\) pour tout \(n\),
  • strictement croissante si \(a_n\lt a_{n+1}\) pour tout \(n\),
  • décroissante si \(a_n\geqslant a_{n+1}\) pour tout \(n\),
  • strictement décroissante si \(a_n\gt a_{n+1}\) pour tout \(n\).
Si \((a_n)\) satisfait une de ces propriétés, elle est dite monotone.

Exemple: La suite \(a_n=n^2\), \(n\geqslant 0\), est strictement croissante puisque \[ a_{n+1}=(n+1)^2=n^2+\underbrace{2n+1}_{\gt 0}\gt n^2=a_n\,. \]

Exemple: La suite harmonique \(a_n=\frac{1}{n}\), \(n\geqslant 1\), est strictement décroissante puisque \[ a_{n+1}=\frac{1}{n+1}\lt \frac1n=a_n \]

Exemple: Considérons la suite \(a_n=\frac{n}{n+1}\) On peut écrire \[ a_n=\frac{n}{n+1}=\frac{(n+1)-1}{n+1}=1-\frac{1}{n+1}\,, \] ce qui implique, puisque \(2\gt 1\), \[ a_{n+1}=1-\frac{1}{n+2}\gt 1-\frac{1}{n+1}=a_n\,, \] et donc que \((a_n)\) est croissante.

Quiz 3.1-1 : Vrai ou faux?
  1. Si il existe une constante \(M_1\) telle que \(a_n\leqslant M_1\) pour tout \(n\) pair, et une constante \(M_2\) telle que \(a_n\leqslant M_2\) pour tout \(n\) impair, alors \((a_n)\) est majorée.
  2. Si il existe une constante \(m\gt 0\) telle que \(a_n\geqslant -\frac{1}{m}\) pour tout \(n\), alors \((a_n)\) est minorée.
  3. Si \((a_n)\) est majorée, alors il existe une constante \(M\gt 0\) telle que \(a_n\leqslant \frac{M}{5}\) pour tout \(n\).
  4. Si \((a_n)\) est bornée, alors il existe une constante \(C\gt 0\) telle que \(-\frac{C}{17}\lt a_n\lt \frac{C}{11}\) pour tout \(n\).
  5. Si \((a_n)\) est bornée, alors il existe deux constantes, \(C_-\lt 0\) et \(C_+\gt 0\) telles que \(C_-\leqslant a_n \leqslant C_+\) pour tout \(n\).
Quiz 3.1-2 : Vrai ou faux?
  1. Si une suite est croissante, alors elle est minorée.
  2. Si une suite est croissante, alors elle n'est pas majorée.
  3. Si \((a_n)\) est croissante, alors \((-a_n)\) est décroissante.
  4. Si une suite n'est pas croissante, c'est qu'elle est décroissante.
  5. Si une suite est constante, alors elle est croissante.
  6. Si une suite est constante, alors elle est décroissante.
  7. Si une suite est à la fois croissante et décroissante, alors elle est constante.
  8. Il n'existe aucune suite qui soit à la fois strictement croissante et strictement décroissante.