3.13 Suites de Cauchy

Remarquons que si une suite \((a_n)\) converge, alors la distance entre deux de ses éléments consécutifs tend vers zéro: \[ |a_{n+1}-a_n|\to 0 \quad \text{ lorsque }n\to\infty\,. \] En effet, si \(\lim_{n\to \infty} a_n=L\), on peut écrire \[\begin{aligned} |a_{n+1}-a_n| &=|(a_{n+1}-L)-(a_n-L)|\\ &\leqslant \underbrace{|a_{n+1}-L|}_{\to 0 \text{ quand }n\to \infty} +\underbrace{|a_n-L|}_{\to 0 \text{ quand }n\to \infty}\,. \end{aligned}\] Mais on peut en fait en dire un peu plus: la distance entre deux de ses éléments quelconques tend vers zéro à mesure que leurs indices grandissent. \[ |a_{m}-a_n|\to 0 \quad \text{ lorsque }m,n\to\infty\,. \] En effet, on peut toujours écrire \[\begin{aligned} |a_m-a_n| &=|(a_m-L)+(L-a_n)|\\ &\leqslant \underbrace{|a_m-L|}_{\to 0 \text{ quand }m\to \infty}+ \underbrace{|a_n-L|}_{\to 0 \text{ quand }n\to \infty}\,. \end{aligned}\] Cette propriété porte un nom:

\((a_n)\) est une suite de Cauchy si \(\forall \varepsilon>0\) il existe un entier \(N\) tel que \[ |a_n-a_m|\leqslant \varepsilon\quad \forall m,n\geqslant N\,. \]

On a donc démontré, ci-dessus, que toute suite convergente est une suite de Cauchy, qui est la première moitié du théorème fondamental suivant:

Théorème: Dans \(\mathbb{R}\), une suite \((a_n)\) est convergente si et seulement si c'est une suite de Cauchy.

Soit \((a_n)\) une suite convergente: \(a_n\to L\). Fixons \(\varepsilon\gt 0\), et considérons un entier \(N\) tel que \(|a_n-L|\leqslant \frac{\varepsilon}{2}\) pour tout \(n\geqslant N\). Si on considère deux entiers \(m,n\geqslant N\), on peut utiliser l'inégalité triangulaire et écrire \[\begin{aligned} |a_m-a_n|&=|(a_m-L)+(L-a_n)|\\ &\leqslant |a_m-L|+|a_n-L|\leqslant \varepsilon/2+\varepsilon/2=\varepsilon\,. \end{aligned}\] Et donc \((a_n)\) est une suite de Cauchy.

Pour montrer que toute suite de Cauchy est également convergente, voir la vidéo ci-dessus.

Exemple: Considérons \[a_n:= 1-\frac{1}{1!}+\frac{1}{2!}-\frac{1}{3!}+\cdots +\frac{(-1)^n}{n!}=\sum_{k=0}^n\frac{(-1)^k}{k!}\,.\] Montrons que cette suite possède une limite, en montrant que c'est une suite de Cauchy. Pour ce faire, étudions la différence \(|a_n-a_m|\). En prenant \(n>m\geqslant 2\), \[\begin{aligned} |a_n-a_m| &=\left|\sum_{k=0}^n\frac{(-1)^k}{k!}-\sum_{k=0}^m\frac{(-1)^k}{k!}\right|\\ &=\left| \sum_{k={m+1}}^n\frac{(-1)^k}{k!}\right|\\ &\leqslant \sum_{k={m+1}}^n\frac{1}{k!}\\ &\leqslant \sum_{k={m+1}}^n \frac{1}{2^{k-1}}\\ &= \sum_{j={m}}^{n-1} \frac{1}{2^j}\\ &= \sum_{j=0}^{n-1} \frac{1}{2^j}- \sum_{j=0}^{m-1} \frac{1}{2^j}\\ &=\frac{1-(\frac12)^{n}}{1-\frac12}- \frac{1-(\frac12)^{m}}{1-\frac12}\\ &=(\tfrac12)^{m-1}-(\tfrac12)^{n-1}\\ &\leqslant (\tfrac12)^{m-1}\,. \end{aligned}\] On a utilisé \(k!\geqslant 2^{k-1}\) (pour tout \(k\geqslant 2\)), fait le changement d'indice \(j=k-1\), et utilisé la formule pour une somme géométrique de raison \(r=\frac12\).

Donc si on fixe \(\varepsilon\gt 0\), puisqu'il existe \(N\) tel que \(\frac{1}{2^{m-1}}\leqslant \varepsilon\) pour tout \(m\geqslant N\), on peut conclure que si \(n\geqslant m\geqslant N\), alors \[ |a_n-a_m|\leqslant \varepsilon\,. \] Ceci montre que \((a_n)\) est une suite de Cauchy. Par le théorème, la limite \(\lim_{n\to\infty}a_n\) existe.

Le fait que dans \(\mathbb{R}\), toute suite de Cauchy et convergente est une des propriétés centrales des réels; ici, c'est une conséquence (pas directe, certes) de l'Axiome qui garantit que dans \(\mathbb{R}\) tout ensemble non-vide majoré possède un supremum. Et en fait, on peut même montrer que la convergence des suites de Cauchy est équivalente à l'existence du supremum.

Il est important de souligner que cette équivalence n'a pas lieu dans les rationnels. En effet, on peut introduire la même notion de suite de Cauchy dans \(\mathbb{Q}\), et montrer que toute suite convergente \(a_n\in \mathbb{Q}\) est une suite de Cauchy. Par contre, il existe des suites de Cauchy dans \(\mathbb{Q}\) qui ne convergent pas dans \(\mathbb{Q}\). Par exemple, la suite \[a_n:= 1+\frac{1}{1!}+\frac{1}{2!}+\cdots +\frac{1}{n!}\] est une suite de rationnels (puisque \(a_n\) est une somme finie de rationnels), et on peut montrer comme ci-dessus que c'est une suite de Cauchy, et donc qu'elle converge.

Par contre, on peut montrer que la limite de \(a_n\) est \(e=2.718\dots\), qui est irrationnel (voir par exemple ici (Michael Penn), ou ). Donc \((a_n)\) est une suite de Cauchy (de rationnels), qui converge dans \(\mathbb{R}\) mais pas dans \(\mathbb{Q}\).

On dit que \(\mathbb{R}\) est un corps complet (car toute suite de Cauchy converge), alors que \(\mathbb{Q}\) est aussi un corps, mais qui n'est pas complet.

Quiz 3.13-1 : Si \((a_n)\) est une suite de Cauchy, alors
  1. \(a_m\leqslant a_n\) pour tout \(m\geqslant n\)
  2. \((a_n)\) est bornée.
  3. pour tout \(k\in \mathbb{N}\), \(a_{n+k}-a_n\to 0\) lorsque \(n\to\infty\)
  4. \(\lim_{n\to\infty}|a_n|=0\) et \(\lim_{m\to\infty}|a_m|=0\).
  5. \(a_{2^{2^k}}-a_{2^k}\to 0\) lorsque \(k\to\infty\).
  6. pour tout \(\varepsilon>0\), il existe un entier \(N\) tel que \(|a_n-a_m|\lt \varepsilon\) pour tout \(n,m\geqslant N\).
Quiz 3.13-2 : Pour que \((a_n)\) soit une suite de Cauchy, il suffit
  1. qu'il existe un entier \(k\) suffisamment grand tel que \(a_{n+k}-a_{n}\to 0\) lorsque \(n\to\infty\).
  2. que pour tout \(\varepsilon>0\), il existe un entier \(N\) tel que \(|a_n-a_m|<\varepsilon/5\) pour tout \(n,m> N\).
  3. qu'il existe deux entiers \(m,n\) tels que pour tout \(\varepsilon>0\), on ait \(|a_n-a_m|\leqslant \varepsilon\).
  4. que \(a_n\) soit convergente.
  5. qu'il existe pour tout \(n\) un entier \(m(n)\) tel que \(|a_n-a_{m(n)}|\to 0\) lorsque \(n\to \infty\).