Remarquons que si une suite \((a_n)\) converge, alors la distance entre deux de ses éléments consécutifs tend vers zéro: \[ |a_{n+1}-a_n|\to 0 \quad \text{ lorsque }n\to\infty\,. \] En effet, si \(\lim_{n\to \infty} a_n=L\), on peut écrire \[\begin{aligned} |a_{n+1}-a_n| &=|(a_{n+1}-L)-(a_n-L)|\\ &\leqslant \underbrace{|a_{n+1}-L|}_{\to 0 \text{ quand }n\to \infty} +\underbrace{|a_n-L|}_{\to 0 \text{ quand }n\to \infty}\,. \end{aligned}\] Mais on peut en fait en dire un peu plus: la distance entre deux de ses éléments quelconques tend vers zéro à mesure que leurs indices grandissent. \[ |a_{m}-a_n|\to 0 \quad \text{ lorsque }m,n\to\infty\,. \] En effet, on peut toujours écrire \[\begin{aligned} |a_m-a_n| &=|(a_m-L)+(L-a_n)|\\ &\leqslant \underbrace{|a_m-L|}_{\to 0 \text{ quand }m\to \infty}+ \underbrace{|a_n-L|}_{\to 0 \text{ quand }n\to \infty}\,. \end{aligned}\] Cette propriété porte un nom:
On a donc démontré, ci-dessus, que toute suite convergente est une suite de Cauchy, qui est la première moitié du théorème fondamental suivant:
Théorème: Dans \(\mathbb{R}\), une suite \((a_n)\) est convergente si et seulement si c'est une suite de Cauchy.
Soit \((a_n)\) une suite convergente: \(a_n\to L\). Fixons \(\varepsilon\gt 0\), et
considérons un entier \(N\) tel que \(|a_n-L|\leqslant \frac{\varepsilon}{2}\) pour tout
\(n\geqslant N\).
Si on considère deux entiers \(m,n\geqslant N\), on peut utiliser l'inégalité
triangulaire et écrire
\[\begin{aligned}
|a_m-a_n|&=|(a_m-L)+(L-a_n)|\\
&\leqslant |a_m-L|+|a_n-L|\leqslant
\varepsilon/2+\varepsilon/2=\varepsilon\,.
\end{aligned}\]
Et donc \((a_n)\) est une suite de Cauchy.
Pour montrer que toute suite de Cauchy est également convergente, voir la vidéo
ci-dessus.
Exemple:
Considérons
\[a_n:= 1-\frac{1}{1!}+\frac{1}{2!}-\frac{1}{3!}+\cdots
+\frac{(-1)^n}{n!}=\sum_{k=0}^n\frac{(-1)^k}{k!}\,.\]
Montrons que cette suite possède une limite, en montrant que c'est une suite de
Cauchy. Pour ce faire, étudions la différence \(|a_n-a_m|\).
En prenant \(n>m\geqslant 2\),
\[\begin{aligned}
|a_n-a_m|
&=\left|\sum_{k=0}^n\frac{(-1)^k}{k!}-\sum_{k=0}^m\frac{(-1)^k}{k!}\right|\\
&=\left| \sum_{k={m+1}}^n\frac{(-1)^k}{k!}\right|\\
&\leqslant \sum_{k={m+1}}^n\frac{1}{k!}\\
&\leqslant \sum_{k={m+1}}^n \frac{1}{2^{k-1}}\\
&= \sum_{j={m}}^{n-1} \frac{1}{2^j}\\
&= \sum_{j=0}^{n-1} \frac{1}{2^j}- \sum_{j=0}^{m-1} \frac{1}{2^j}\\
&=\frac{1-(\frac12)^{n}}{1-\frac12}- \frac{1-(\frac12)^{m}}{1-\frac12}\\
&=(\tfrac12)^{m-1}-(\tfrac12)^{n-1}\\
&\leqslant (\tfrac12)^{m-1}\,.
\end{aligned}\]
On a utilisé
\(k!\geqslant 2^{k-1}\) (pour tout \(k\geqslant 2\)),
fait le changement d'indice \(j=k-1\), et utilisé la formule pour une somme
géométrique de raison \(r=\frac12\).
Donc si on fixe \(\varepsilon\gt 0\), puisqu'il existe \(N\) tel que
\(\frac{1}{2^{m-1}}\leqslant \varepsilon\) pour tout \(m\geqslant N\), on peut conclure
que si \(n\geqslant m\geqslant N\), alors
\[
|a_n-a_m|\leqslant \varepsilon\,.
\]
Ceci montre que \((a_n)\) est une suite de Cauchy. Par le théorème,
la limite \(\lim_{n\to\infty}a_n\) existe.
Le fait que dans \(\mathbb{R}\), toute suite de Cauchy et convergente est une des
propriétés centrales des réels; ici, c'est une conséquence (pas directe, certes)
de l'Axiome qui garantit que dans \(\mathbb{R}\) tout ensemble non-vide majoré possède
un supremum.
Et en fait, on peut même montrer que la convergence des suites de Cauchy est
équivalente à l'existence du supremum.
Il est important de souligner que
cette équivalence n'a pas lieu dans les rationnels.
En effet, on peut introduire la même notion de
suite de Cauchy dans \(\mathbb{Q}\), et montrer que toute suite convergente
\(a_n\in \mathbb{Q}\) est une
suite de Cauchy. Par contre, il existe des suites de Cauchy dans \(\mathbb{Q}\)
qui ne convergent pas dans \(\mathbb{Q}\).
Par exemple, la suite
\[a_n:= 1+\frac{1}{1!}+\frac{1}{2!}+\cdots +\frac{1}{n!}\]
est une suite de rationnels (puisque \(a_n\) est une somme finie de rationnels),
et on peut montrer comme ci-dessus que c'est une suite de Cauchy, et donc
qu'elle converge.
Par contre, on peut montrer que
la limite de \(a_n\) est \(e=2.718\dots\), qui est irrationnel
(voir par exemple
ici (Michael Penn),
ou
là).
Donc \((a_n)\)
est une suite de Cauchy (de rationnels), qui converge dans \(\mathbb{R}\) mais pas dans
\(\mathbb{Q}\).
On dit que \(\mathbb{R}\) est un corps complet (car toute suite de Cauchy
converge), alors que \(\mathbb{Q}\) est aussi un corps, mais qui n'est pas complet.