5.1 Définitions et exemples

Une série, en analyse, est une somme infinie.

Dans ce chapitre, nous étudierons les séries numériques, qui ne sont rien d'autre que des sommes infinies dans lesquelles on somme tous les termes d'une suite donnée \((a_n)_{n\geqslant 0}\), à partir du premier:

\[ a_0+a_1+a_2+a_3+\dots \] Le symbole utilisé pour représenter un telle somme est \[ \sum_{n=0}^\infty a_n\,,\text{ ou }\sum_{n\geqslant 0}a_n\,, \] ou encore, puisque l'indice est muet, \[ \sum_{k=0}^\infty a_k\,,\text{ ou }\sum_{k\geqslant 0}a_k\,, \] que l'on lit ''la somme de tous les \(a_k\), pour \(k\) allant de zéro à l'infini'', et on dit que son terme général est \(a_k\).

Nous aimerions donc définir rigoureusement ce que signifie ''sommer une infinité de nombres''. Pour ce faire, nous allons fixer une suite \((a_n)_{n\geqslant 0}\), et commencer par sommer un à un ses éléments, en commençant par le premier. Ceci mène à définir les sommes successives obtenues:

Soit \((a_n)_{n\geqslant 0}\) une suite de réels. On définit la suite \((s_n)_{n\geqslant 0}\) ainsi: \[\begin{aligned} s_0&:= a_0\\ s_1&:= a_0+a_1\\ s_2&:= a_0+a_1+a_2\\ \vdots&\\ s_n&:= a_0+a_1+a_2+\cdots +a_n\\ \vdots& \end{aligned}\] On appelle \((s_n)_{n\geqslant 0}\) la suite des sommes partielles associée à \((a_n)_{n\geqslant 0}\). \(s_n\) est la \(n\)-ème somme partielle.

On donne alors un sens à la somme infinie en prenant une limite:

Soit \((s_n)_{n\geqslant 0}\) la suite des sommes partielles associée à \((a_n)_{n\geqslant 0}\). Si la limite \[ s:= \lim_{n\to \infty} s_n\,. \] existe et est finie, on dit que la série \(\displaystyle\sum_{n=0}^\infty a_n\) converge, et que sa somme vaut \(s\). On écrit: \[ \sum_{n=0}^\infty a_n=s\,. \] Dans les autres cas, on dit que la série diverge.

Si \(\displaystyle\lim_{n\to\infty}s_n=\pm\infty\), on écrit \[\sum_{n=0}^\infty a_n=\pm\infty\,.\]

Exemple: Soit \(a_n=n\) pour tout \(n\). Alors \[s_n=1+2+3+4+\cdots+n=\frac{n(n+1)}{2}\,,\] ce qui implique que \(s_n\to \infty\), donc la série diverge: \[1+2+3+4+\cdots=\sum_{n=1}^\infty n=+ \infty\,,\]

Exemple: (Suite constante) Soit \((a_n)_{n\geqslant 0}\) la suite définie par \[a_n=c\] pour tout \(n\geqslant 0\), où \(c\) est une constante. Alors \[\begin{aligned} s_n &=a_0+a_1+\cdots+a_n\\ &=\underbrace{c+c+\cdots +c}_{n+1\text{ fois}}\\ &=c(n+1)\,. \end{aligned}\] Ainsi, \[ \lim_{n\to \infty}s_n= \lim_{n\to \infty}c(n+1)= \begin{cases} +\infty&\text{ si }c\gt 0\,,\\ 0&\text{ si }c= 0\,,\\ -\infty&\text{ si }c\lt 0\,, \end{cases} \] ce qui implique que la série \(\sum_{n\geqslant 0}a_n\) converge si et seulement si \(c=0\), et dans ce cas \[ \sum_{n\geqslant 0}a_n=0\,. \] Lorsque \(c\neq 0\), la série diverge et \[ \sum_{n\geqslant 0}a_n= \begin{cases} +\infty&\text{ si }c\gt 0\,,\\ -\infty&\text{ si }c\lt 0\,. \end{cases} \]

Ce dernier exemple a montré, sans surprise, qu'une somme infinie de nombres strictement positifs, tous égaux, est infinie.

Or même si cela peut sembler contre-intuitif, il est possible de sommer une infinité de nombres non-nuls, et d'obtenir une somme totale finie; nous avions déjà rencontré ce phénomène dans l'étude de la série géométrique; celle-ci fournit notre premier exemple non-trivial de série convergente:

Exemple: La série de terme général \(a_n=r^n\), où \(r\in\mathbb{R}\) est fixé, n'est autre que la série géométrique de raison \(r\): \[ \sum_{n=0}^\infty a_n=1+r+r^2+r^3+\cdots \] Par un résultat élémentaire sur les sommes géométriques finies, on sait calculer exactement n'importe quelle somme partielle. En particulier, si \(r\neq 1\), alors \[ s_n=1+r+r^2+r^3+\cdots+r^n=\frac{1-r^{n+1}}{1-r}\,. \] On peut ainsi conclure: \[ \sum_{n=0}^\infty r^n= \begin{cases} \text{converge} & \text{ si }|r|\lt 1,\\ \text{diverge} & \text{ sinon.}\\ \end{cases} \] De plus, dans le cas où \(|r|\lt 1\), nous avons calculé exactement la valeur de sa somme: \[\sum_{n=0}^\infty r^n=\frac{1}{1-r}\,. \] Par exemple, \[\begin{aligned} 1+\frac12+\frac1{2^2}+\frac1{2^3}+\cdots&=\frac{1}{1-\frac12}=2\,,\\ 1-\frac13+\frac1{3^2}-\frac1{3^3}+\cdots&=\frac{1}{1-(-\frac13)}=\frac34\,. \end{aligned}\]

Nous connaissons un autre cas de série convergente (de termes non-nuls), plus compliqué:

Exemple: Nous avons vu que la série de terme général \(a_n=\frac{1}{n^2}\), \[\sum_{k\geqslant 1}\frac{1}{k^2}=1+ \frac{1}{2^2}+\frac{1}{3^2}+\cdots \qquad\text{ converge}\,.\] En effet, nous avions montré que la suite des sommes partielles, \[s_n=1+\frac{1}{2^2}+\frac{1}{3^2}+\cdots +\frac{1}{n^2}\,,\] est croissante et majorée.

(Création: "Oeuvre 24", de GF)

Divergence de la série harmonique

Considérons maintenant un des exemples les plus importants de série divergente:

Théorème: La série harmonique, de terme général \(a_n=\frac1n\), est divergente: \[ \sum_{n=1}^\infty \frac{1}{n}=1+\frac12+\frac13+\frac14+\frac15+\cdots=+\infty\,. \]

En d'autres termes, si l'on fait un pas de longueur \(1\), puis un pas de longueur \(\frac{1}{2}\), puis un pas de longueur \(\frac{1}{3}\), et ainsi de suite (toujours vers la droite), alors on part à l'infini.

Remarquons que la suite des sommes partielles associée à la suite \(a_n=\frac{1}{n}\) est strictement croissante: \(s_{n+1}>s_n\). Pour montrer que \(s_n\to \infty\), il suffit donc de trouver une sous-suite \((s_{n_k})_k\) telle que \(s_{n_k}\to \infty\).

Considérons les indices qui sont des puissances de \(2\): \[\begin{aligned} s_2=s_ {2^1}&=\underbrace{1+\tfrac12}_{\geqslant \frac12}\geqslant \tfrac12\\ s_4=s_{2^2}&=\underbrace{1+\tfrac12}_{\geqslant \frac12} +\underbrace{\tfrac13+\tfrac14}_{\geqslant 2\cdot \tfrac14=\tfrac12} \geqslant 2\cdot \tfrac12\\ s_8=s_{2^3}&=\underbrace{1+\tfrac12}_{\geqslant \frac12} +\underbrace{\tfrac13+\tfrac14}_{\geqslant 2\cdot \tfrac14=\tfrac12} +\underbrace{\tfrac15+\cdots+\tfrac18}_{\geqslant 4\cdot \tfrac18=\tfrac12}\geqslant 3\cdot \tfrac12\\ s_{16}=s_{2^4}&=\underbrace{1+\tfrac12}_{\geqslant \frac12} +\underbrace{\tfrac13+\tfrac14}_{\geqslant 2\cdot \tfrac14=\tfrac12} +\underbrace{\tfrac15+\cdots+\tfrac18}_{\geqslant 4\cdot \tfrac18=\tfrac12} +\underbrace{\tfrac19+\cdots+\tfrac{1}{32}}_{\geqslant 8\cdot \tfrac{1}{16}=\tfrac12}\geqslant 4\cdot \tfrac12 \end{aligned}\] Plus généralement, on peut montrer que pour tout entier \(k\geqslant 1\), \[ s_{2^k}\geqslant \frac{k}{2}\,. \] Comme \(\frac{k}{2}\to\infty\) lorsque \(k\to\infty\), par le ''chien méchant'', on conclut que \(s_{2^k}\to \infty\).

Une autre preuve (très semblable) de la divergence de la série harmonique: A stylish proof that... (Michael Penn)

Nous venons de montrer que la suite partielle associée à la série harmonique, \[ s_n=1+\frac12+\frac13+\frac14+\cdots+\frac1n\,, \] tend vers l'infini: Cela signifie que quel que soit le seuil \(M\gt 0\) que l'on fixe, aussi grand soit-il, il existe toujours un indice \(N\) tel que \(s_n\geqslant M\) pour tout \(n\geqslant N\).

La suite \(s_n\) tend vers l'infini, mais très lentement...

Pour donner une idée, si dans l'animation ci-dessus on fixait \(M=50\) (un point sur l'axe \(Oy\), à environ \(50\) centimètres au-dessus de votre écran), il faudrait pousser le ''\(n\)'' à au moins \(2.5\cdot 10^{16}\) kilomètres pour que \(s_n\geqslant 50\)...

On pourra également lire les commentaires se trouvant ici.
(Création: "Oeuvre 24", de GF)
Sur l'importance de la définition de convergence pour une série

Exemple: Considérons \(a_n=(-1)^{n}\), \(n\geqslant 0\). Les sommes partielles sont alors \[\begin{aligned} s_0&=(-1)^0=1\\ s_1&=(-1)^0+(-1)^1=1-1=0\\ s_2&=(-1)^0+(-1)^1+(-1)^2=1-1+1=1\\ s_3&=(-1)^0+(-1)^1+(-1)^2+(-1)^3=1-1+1-1=0\\ &\vdots \end{aligned}\] Ainsi, \[s_n= \begin{cases} 0&\text{ si n est impair,}\\ 1&\text{ si n est pair.} \end{cases} \] Donc \(s_n\) n'a pas de limite, ce qui signifie que la série \[ \sum_{n\geqslant 0}(-1)^n=1-1+1-1+1-1+1\cdots\] est divergente.

On serait peut-être tenté de calculer la somme infinie du dernier exemple, \[ s=1-1+1-1+1-1+1\cdots \] à l'aide d'opérations algébriques injustifiées.

Par exemple, on pourrait réorganiser les termes de la série par paquets de deux: \[ s=\underbrace{(1-1)}_{=0}+\underbrace{(1-1)}_{=0}+\cdots=0\,. \] Mais une autre façon de réarranger donnerait \[s=1+ \underbrace{(-1+1)}_{=0}+\underbrace{(-1+1)}_{=0} +\cdots=1 \] Ou alors, en multipliant la somme par \(2\), \[\begin{aligned} 2s=s+s &=1-1+1-1+1-1+1-\cdots\\ &\phantom{=1}+1-1+1-1+1-1+\cdots\\ &=1\,, \end{aligned}\] et donc \(s=\frac12\)... (Voir aussi ici pour une autre façon de formuler la même absurdité.)

Les opérations formelles faites sur cet exemple sont toutes interdites, parce qu'on est en présence d'une série divergente. Ceci montre que l'on ne peut pas manipuler une série comme on manipule une somme contenant un nombre fini de termes, et souligne l'importance de la définition de convergence que nous avons adoptée pour une série (via les sommes partielles).

Quiz 5.1-1 : Soit \(\sum_{n\geqslant 0}a_n\) une série numérique, et \((s_n)_{n\geqslant 0}\) la suite de ses sommes partielles. Vrai ou faux?
  1. \((s_n)_{n \geqslant 0}\) est monotone
  2. \((s_n)_{n \geqslant 0}\) est bornée
  3. Si \(\sum_{n\geqslant 0}a_n\) converge, alors \(s_n\) est monotone
  4. Si \(\sum_{n\geqslant 0}a_n\) converge, alors \(a_n\) est monotone
  5. Si \(\sum_{n\geqslant 0}a_n\) converge, alors \(s_n\) est bornée
  6. Si \((s_n)\) est bornée, alors \(\sum_{n\geqslant 0}a_n\) converge.
  7. Si \(s_n\to \infty\), alors \(\sum_{n\geqslant 0}a_n\) diverge.
  8. Si \(\sum_{n\geqslant 0}a_n\) diverge, alors \(s_n\to \infty\).
  9. Si \(\lim_{k\to\infty}s_{2k}\) et \(\lim_{k \to\infty}s_{2k+1}\) existent, alors \(\sum_{n\geqslant 0}a_n\) converge.
Quiz 5.1-2 : Soit \((a_n)_{n\geqslant 0}\) une suite de réels, telle que \(a_n\geqslant 0 \) pour tout \(n\geqslant 0\), et soit \((s_n)_{n\geqslant 0}\) la suite de ses sommes partielles. Vrai ou faux?
  1. \((s_n)_{n\geqslant 0}\) est croissante.
  2. \(\sum_{n\geqslant 0}a_n\) converge si et seulement si \((s_n)_{n\geqslant 0}\) est majorée.
  3. Si \(\sum_{n\geqslant 0}a_n\) converge, alors \(a_n\) est décroissante.
  4. Si \(\sum_{n\geqslant 0}a_n\) converge, alors \(\sum_{n\geqslant 0}(-a_n)\) diverge.