Une série, en analyse, est une somme infinie.
Dans ce chapitre, nous étudierons les
séries numériques, qui ne sont rien d'autre que des sommes infinies dans
lesquelles on somme tous les
termes d'une suite donnée \((a_n)_{n\geqslant 0}\), à partir du premier:
\[ a_0+a_1+a_2+a_3+\dots \] Le symbole utilisé pour représenter un telle somme est \[ \sum_{n=0}^\infty a_n\,,\text{ ou }\sum_{n\geqslant 0}a_n\,, \] ou encore, puisque l'indice est muet, \[ \sum_{k=0}^\infty a_k\,,\text{ ou }\sum_{k\geqslant 0}a_k\,, \] que l'on lit ''la somme de tous les \(a_k\), pour \(k\) allant de zéro à l'infini'', et on dit que son terme général est \(a_k\).
Nous aimerions donc définir rigoureusement ce que signifie ''sommer une infinité de nombres''. Pour ce faire, nous allons fixer une suite \((a_n)_{n\geqslant 0}\), et commencer par sommer un à un ses éléments, en commençant par le premier. Ceci mène à définir les sommes successives obtenues:
Exemple: Soit \(a_n=n\) pour tout \(n\). Alors \[s_n=1+2+3+4+\cdots+n=\frac{n(n+1)}{2}\,,\] ce qui implique que \(s_n\to \infty\), donc la série diverge: \[1+2+3+4+\cdots=\sum_{n=1}^\infty n=+ \infty\,,\]
Exemple: (Suite constante) Soit \((a_n)_{n\geqslant 0}\) la suite définie par \[a_n=c\] pour tout \(n\geqslant 0\), où \(c\) est une constante. Alors \[\begin{aligned} s_n &=a_0+a_1+\cdots+a_n\\ &=\underbrace{c+c+\cdots +c}_{n+1\text{ fois}}\\ &=c(n+1)\,. \end{aligned}\] Ainsi, \[ \lim_{n\to \infty}s_n= \lim_{n\to \infty}c(n+1)= \begin{cases} +\infty&\text{ si }c\gt 0\,,\\ 0&\text{ si }c= 0\,,\\ -\infty&\text{ si }c\lt 0\,, \end{cases} \] ce qui implique que la série \(\sum_{n\geqslant 0}a_n\) converge si et seulement si \(c=0\), et dans ce cas \[ \sum_{n\geqslant 0}a_n=0\,. \] Lorsque \(c\neq 0\), la série diverge et \[ \sum_{n\geqslant 0}a_n= \begin{cases} +\infty&\text{ si }c\gt 0\,,\\ -\infty&\text{ si }c\lt 0\,. \end{cases} \]
Ce dernier exemple a montré, sans surprise, qu'une somme infinie de nombres
strictement positifs, tous égaux, est infinie.
Or même si cela peut sembler contre-intuitif,
il est possible de sommer une infinité de
nombres non-nuls, et d'obtenir une somme totale finie; nous avions déjà
rencontré ce phénomène dans l'étude de la série géométrique; celle-ci fournit
notre premier exemple non-trivial de série convergente:
Exemple: La série de terme général \(a_n=r^n\), où \(r\in\mathbb{R}\) est fixé, n'est autre que la série géométrique de raison \(r\): \[ \sum_{n=0}^\infty a_n=1+r+r^2+r^3+\cdots \] Par un résultat élémentaire sur les sommes géométriques finies, on sait calculer exactement n'importe quelle somme partielle. En particulier, si \(r\neq 1\), alors \[ s_n=1+r+r^2+r^3+\cdots+r^n=\frac{1-r^{n+1}}{1-r}\,. \] On peut ainsi conclure: \[ \sum_{n=0}^\infty r^n= \begin{cases} \text{converge} & \text{ si }|r|\lt 1,\\ \text{diverge} & \text{ sinon.}\\ \end{cases} \] De plus, dans le cas où \(|r|\lt 1\), nous avons calculé exactement la valeur de sa somme: \[\sum_{n=0}^\infty r^n=\frac{1}{1-r}\,. \] Par exemple, \[\begin{aligned} 1+\frac12+\frac1{2^2}+\frac1{2^3}+\cdots&=\frac{1}{1-\frac12}=2\,,\\ 1-\frac13+\frac1{3^2}-\frac1{3^3}+\cdots&=\frac{1}{1-(-\frac13)}=\frac34\,. \end{aligned}\]
Nous connaissons un autre cas de série convergente (de termes non-nuls), plus compliqué:
Exemple: Nous avons vu que la série de terme général \(a_n=\frac{1}{n^2}\), \[\sum_{k\geqslant 1}\frac{1}{k^2}=1+ \frac{1}{2^2}+\frac{1}{3^2}+\cdots \qquad\text{ converge}\,.\] En effet, nous avions montré que la suite des sommes partielles, \[s_n=1+\frac{1}{2^2}+\frac{1}{3^2}+\cdots +\frac{1}{n^2}\,,\] est croissante et majorée.
Considérons maintenant un des exemples les plus importants de série divergente:
Théorème: La série harmonique, de terme général \(a_n=\frac1n\), est divergente: \[ \sum_{n=1}^\infty \frac{1}{n}=1+\frac12+\frac13+\frac14+\frac15+\cdots=+\infty\,. \]
En d'autres termes, si l'on fait un pas de longueur \(1\), puis un pas de longueur \(\frac{1}{2}\), puis un pas de longueur \(\frac{1}{3}\), et ainsi de suite (toujours vers la droite), alors on part à l'infini.
Remarquons que la suite des sommes partielles associée à la suite
\(a_n=\frac{1}{n}\) est strictement croissante: \(s_{n+1}>s_n\).
Pour montrer que \(s_n\to \infty\), il suffit donc de trouver une sous-suite
\((s_{n_k})_k\) telle que \(s_{n_k}\to \infty\).
Considérons les indices qui sont des puissances de \(2\):
\[\begin{aligned}
s_2=s_ {2^1}&=\underbrace{1+\tfrac12}_{\geqslant \frac12}\geqslant \tfrac12\\
s_4=s_{2^2}&=\underbrace{1+\tfrac12}_{\geqslant \frac12}
+\underbrace{\tfrac13+\tfrac14}_{\geqslant 2\cdot \tfrac14=\tfrac12}
\geqslant 2\cdot \tfrac12\\
s_8=s_{2^3}&=\underbrace{1+\tfrac12}_{\geqslant \frac12}
+\underbrace{\tfrac13+\tfrac14}_{\geqslant 2\cdot \tfrac14=\tfrac12}
+\underbrace{\tfrac15+\cdots+\tfrac18}_{\geqslant 4\cdot \tfrac18=\tfrac12}\geqslant 3\cdot
\tfrac12\\
s_{16}=s_{2^4}&=\underbrace{1+\tfrac12}_{\geqslant \frac12}
+\underbrace{\tfrac13+\tfrac14}_{\geqslant 2\cdot \tfrac14=\tfrac12}
+\underbrace{\tfrac15+\cdots+\tfrac18}_{\geqslant 4\cdot \tfrac18=\tfrac12}
+\underbrace{\tfrac19+\cdots+\tfrac{1}{32}}_{\geqslant 8\cdot
\tfrac{1}{16}=\tfrac12}\geqslant 4\cdot \tfrac12
\end{aligned}\]
Plus généralement, on peut montrer que pour tout entier \(k\geqslant 1\),
\[ s_{2^k}\geqslant \frac{k}{2}\,.
\]
Comme \(\frac{k}{2}\to\infty\) lorsque \(k\to\infty\),
par le ''chien méchant'', on conclut que \(s_{2^k}\to \infty\).
Une autre preuve (très semblable) de la divergence de la série harmonique:
A stylish proof that... (Michael Penn)
Nous venons de montrer que la suite partielle associée à la série harmonique, \[ s_n=1+\frac12+\frac13+\frac14+\cdots+\frac1n\,, \] tend vers l'infini: Cela signifie que quel que soit le seuil \(M\gt 0\) que l'on fixe, aussi grand soit-il, il existe toujours un indice \(N\) tel que \(s_n\geqslant M\) pour tout \(n\geqslant N\).
Exemple: Considérons \(a_n=(-1)^{n}\), \(n\geqslant 0\). Les sommes partielles sont alors \[\begin{aligned} s_0&=(-1)^0=1\\ s_1&=(-1)^0+(-1)^1=1-1=0\\ s_2&=(-1)^0+(-1)^1+(-1)^2=1-1+1=1\\ s_3&=(-1)^0+(-1)^1+(-1)^2+(-1)^3=1-1+1-1=0\\ &\vdots \end{aligned}\] Ainsi, \[s_n= \begin{cases} 0&\text{ si n est impair,}\\ 1&\text{ si n est pair.} \end{cases} \] Donc \(s_n\) n'a pas de limite, ce qui signifie que la série \[ \sum_{n\geqslant 0}(-1)^n=1-1+1-1+1-1+1\cdots\] est divergente.
Les opérations formelles faites sur cet exemple sont toutes interdites, parce qu'on est en présence d'une série divergente. Ceci montre que l'on ne peut pas manipuler une série comme on manipule une somme contenant un nombre fini de termes, et souligne l'importance de la définition de convergence que nous avons adoptée pour une série (via les sommes partielles).