11.4 Exemples

Étudions maintenant quelques développements de Taylor classiques. Nous utiliserons le procédé décrit plus haut sur quelques exemples simples, puis listerons aussi d'autres développements, dont la justification rigoureuse ne sera pas donnée, puisqu'elle requiert d'autres techniques.

Exemple: Étudions le développement de MacLaurin de \(f(x)=e^x\).

Puisque \(f^{(k)}(x)=e^x\) pour tout \(k\), \(f\in C^\infty(I)\), avec \(I=\mathbb{R}\). Pour tout \(n\) fixé, son \(DL(n)\) autour de \(0\) est donné par \[ e^{x}=1+x+\frac{x^2}{2!}+\frac{x^3}{3!}+\cdots+\frac{x^n}{n!} +R_n(x)\,, \] où \(R_n(x)=x^n\varepsilon_n(x)\), avec \[ \varepsilon_n(x)=x\frac{e^u}{(n+1)!}\,, \] où \(u\) est un nombre entre \(0\) et \(x\). Voyons si on peut prendre la limite \(n\to\infty\), en vérifiant les deux étapes décrites plus haut.

  1. D'abord, la série de MacLaurin associée est \[ \sum_{k\geqslant 0}\frac{1}{k!}x^k\,. \] On a vu que cette série a un rayon de convergence infini, elle converge donc pour tout \(x\): \(I_s=\mathbb{R}\).
  2. Ensuite, pour calculer la limite du reste, on commence par l'estimer comme suit: \(\forall x\in \mathbb{R}\), \[\begin{aligned} |R_n(x)|=|x^n\varepsilon_n(x)|&=\Bigl|x^{n+1}\frac{e^u}{(n+1)!} \Bigr|\\ &\leqslant |x|^{n+1}\frac{e^{|u|}}{(n+1)!}\\ &\leqslant e^{|x|}\frac{|x|^{n+1}}{(n+1)!} \end{aligned}\] Dans cette dernière inégalité, on a utilisé le fait que \(u\) est entre \(0\) et \(x\), et donc \(|u|\leqslant |x|\). Maintenant, puisque \(x\) est fixé, le critère de d'Alembert (pour les suites) implique que \[\lim_{n\to\infty}\frac{|x|^{n+1}}{(n+1)!}=0\,,\] on a donc bien que le reste tend vers zéro: \(\lim_{n\to \infty}R_n(x)=0\), pour tout \(x\in I_r=\mathbb{R}\).
Ceci implique que l'exponentielle peut être écrite à l'aide de sa série de MacLaurin, pour tout réel \(x\in I'=I\cap I_s\cap I_r=\mathbb{R}\): \[ \boxed{e^x=\sum_{k\geqslant 0}\frac{1}{k!}x^k\,\,.} \]

Remarque: En général, dans les livres d'analyse, la fonction exponentielle est définie par sa série de MacLaurin, ce qui représente toutes sortes d'avantages. Mais bien sûr, si on la définit par sa série, il faut ensuite démontrer que des propriétés classiques, comme par exemple \(e^{x+y}=e^xe^y\) ou \((e^x)'=e^x\), sont effectivement vérifiées.

Exemple: Considérons le sinus hyperbolique, \[ \sinh(x):= \frac{e^x-e^{-x}}{2}\,. \] Puisqu'on a déjà la série de Taylor de \(e^{x}\), et que celle-ci converge pour tout \(x\in \mathbb{R}\), il suffit d'écrire \[\begin{aligned} \sinh(x) &=\frac{1}{2}(e^x+e^{-x})\\ &=\frac{1}{2} \Bigl( \sum_{k\geqslant 0}\frac{x^k}{k!} - \sum_{k\geqslant 0}\frac{(-x)^k}{k!} \Bigr)\\ &= \sum_{k\geqslant 0}\frac{1}{k!}\frac{(1-(-1)^k)}{2}x^k\,. \end{aligned}\] Mais puisque \[\frac{1-(-1)^k}{2}= \begin{cases} 0&k \text{ pair,}\\ 1&k \text{ impair,}\\ \end{cases} \] seuls les termes d'indices impairs demeurent. On a donc \[ \boxed{\sinh(x) =x+\frac{x^3}{3!}+\frac{x^5}{5!}+\cdots =\sum_{k\geqslant 0}\frac{x^{2k+1}}{(2k+1)!}\,,\qquad \forall x\in \mathbb{R} } \] De même pour le cosinus hyperbolique, \[\cosh(x):=\frac{e^x+e^{-x}}{2}\,,\] \[ \boxed{\cosh(x) =1+\frac{x^2}{2!}+\frac{x^4}{4!}+\cdots =\sum_{k\geqslant 0}\frac{x^{2k}}{(2k)!}\,,\qquad \forall x\in \mathbb{R} } \]

Exemple: Considérons le développement de MacLaurin de \(f(x)=\sin(x)\in C^\infty(\mathbb{R})\). On peut écrire ses dérivées de façon compacte, \[ f^{(n)}(x)=\sin(x+n\tfrac{\pi}{2})\,, \] ce qui donne \(f^{(n)}(0)=\sin(n\frac{\pi}{2})\). On a donc que toutes les dérivées d'ordre pair sont nulles, \(f^{(2k)}(0)=0\), alors que \(f^{(2k+1)}(0)=(-1)^k\), ce qui donne une série de Taylor \[ \sum_{k\geqslant 0} \frac{(-1)^k}{(2k+1)!}x^{2k+1}\,. \] On vérifie facilement que cette série converge pour tout \(x\in I_s:= \mathbb{R}\). Le reste étant \(R_n(x)=x^{n+1}\frac{f^{(n+1)}(u)}{(n+1)!}\), et puisque \(|f^{(n+1)}(u)|\leqslant 1\), on a aussi que \(R_n(x)\to 0\) pour tout \(x\in I_r:= \mathbb{R}\). Ceci montre que la série de Taylor décrit \(f\) sur toute la droite: \[ \boxed{ \sin(x)=x-\frac{x^3}{3!}+\frac{x^5}{5!}-\cdots=\sum_{n\geqslant 0}\frac{(-1)^n}{(2n+1)!}x^{2n+1}\,,\qquad \forall x\in \mathbb{R} } \] On peut procéder de même pour montrer que \[ \boxed{ \cos(x)=1-\frac{x^2}{2!}+\frac{x^4}{4!}-\cdots=\sum_{n\geqslant 0}\frac{(-1)^n}{(2n)!}x^{2n}\,,\qquad \forall x\in \mathbb{R} } \]

Voyons un exemple où on est forcé de restreindre les valeurs de \(x\) pour pouvoir implémenter notre programme:

Exemple: Considérons \(f(x)=\log(1+x)\), définie sur \(I=]-1,+\infty[\). Sur \(I\), \(f\) est infiniment dérivable, et ses dérivées sont données par \[ f^{(k)}(x)=(-1)^{k+1}(k-1)!(1+x)^{-k}\,. \] Ainsi, sa série de MacLaurin est \[ \sum_{k\geqslant 1}\frac{(-1)^{k+1}}{k}x^k\,, \] et on a vu que l'intervalle de convergence de cette série entière est \(I_s:= ]-1,1]\),

L'étude du reste est plus délicate. Si \(x\in I_s\), \[\begin{aligned} |R_n(x)|&=|x^n\varepsilon_n(x)|\\ &=\Bigl| x^{n+1} \frac{f^{(k+1)(u)}}{(n+1)!} \Bigr|\\ &=\frac{1}{n+1} \Bigl|\frac{x}{1+u}\Bigr|^{n+1} \end{aligned}\] On voit que pour tendre vers zéro, il faut s'assurer que \(|\frac{x}{1+u}|\leqslant 1\). Distinguons les cas. D'une part, si \(x\geqslant 0\), alors \(u\geqslant 0\), et donc \[\left|\frac{x}{1+u}\right|=\frac{x}{1+u}\leqslant x\leqslant 1\,, \] ce qui permet d'écrire \[ |R_n(x)|\leqslant \frac{1}{n+1}\to 0\quad \text{ lorsque }n\to\infty\,. \] D'autre part, si \(-1\lt x\leqslant 0\) alors \(1+u\geqslant 1+x \gt 0\) et donc \[ \left|\frac{x}{1+u}\right|=\frac{-x}{1+u}\leqslant\frac{-x}{1+x}\,. \] Donc pour garantir \(|\frac{x}{1+u}|\leqslant 1\), on peut imposer \(\frac{-x}{1+x}\leqslant 1\), qui est équivalent à \(x\geqslant -\frac12\). Donc \(R_n(x)\to 0\) dès que \(x\in I_r:= [-\frac12,1]\). Ainsi, on a montré que \[ \boxed{\log(1+x)= \sum_{k\geqslant 1}\frac{(-1)^{k+1}}{k}x^k\,,\quad \forall x\in [-\tfrac12,1]} \]

On ne le fera pas ici, mais on peut en fait montrer que la série de MacLaurin représente la fonction sur tout l'intervalle \(]-1,1]\).

Si on utilise le développement ci-dessus en \(x=1\) (juste sur le bord de l'intervalle où on a le droit de l'utiliser!), on peut écrire \[ \log(2)=\log(1+1)=1-\frac12+\frac13-\frac14+\frac15\cdots \]

(Création: "Oeuvre 24", de GF)

Remarque: On peut aussi montrer, avec une méthode qui n'a rien à voir avec les développements limités (voir ici), que \[ \log(2)=\frac{1}{1\cdot 2}+\frac{1}{3\cdot 4}+\frac{1}{5\cdot 6}+\cdots \]

Exemple: On peut montrer que pour tout \(x\in \mathbb{R}\), \[ \boxed{ \arctan(x)=x-\frac{x^3}{3}+\frac{x^5}{5}-\frac{x^7}{7}+\cdots= \sum_{k\geqslant 0}(-1)^{k}\frac{x^{2k+1}}{2k+1}\,. } \]

Remarque: Puisque \(\arctan(1)=\tfrac{\pi}{4}\), on peut utiliser cette série de Taylor pour représenter \(\pi\): \[\begin{aligned} \pi=4\frac{\pi}{4} =4\arctan(1) =4\Bigl( 1-\frac{1}{3}+\frac{1}{5}-\frac{1}{7}+\frac{1}{9}\cdots \Bigr) \end{aligned}\] Chaque somme partielle de cette série fournit une approximation du nombre \(\pi\). Par exemple, à l'ordre \(11\), \[\begin{aligned} \pi\simeq 4 \Bigl( 1-\frac{1}{3}+\frac{1}{5}-\frac{1}{7}+\frac{1}{9}-\frac{1}{11} \Bigr) ={\color{red}2.9760\cdots}\,. \end{aligned}\] Cette approximation n'est pas très bonne, car les sommes partielles de cette série se rapprochent assez lentement de leur limite. En fait, il faudrait aller jusqu'à l'ordre \(300\) pour avoir seulement deux décimales correctes: \[\begin{aligned} \pi\simeq& 4 \Bigl( 1-\frac{1}{3}+\frac{1}{5}-\frac{1}{7}+\frac{1}{9}-\frac{1}{11} +\cdots+\frac{1}{299}-\frac{1}{301} \Bigr)\\ &=3.14{\color{red}821509\cdots}\,. \end{aligned}\]

Il existe d'autres séries voir Wiki) qui permettent d'approximer \(\pi\), dont les sommes partielles s'approchent beaucoup plus rapidement de leur limite. Considérons par exemple la formule de Chudnovsky (1987): \[ \pi= 2\sum_{k\geqslant 0}\frac{2^k(k!)^2}{(2k+1)!}\,. \] Avec 11 termes, \[\begin{aligned} \pi\simeq &2\Bigl( 1+\frac{2}{3!}+\frac{2^22!^2}{5!}+\dots+\frac{2^{11}(11!)^2}{23!} \Bigr)\\ &=3.141{\color{red}3584\dots} \end{aligned}\]

Des fonctions que l'on ne peut pas représenter par une série de Taylor?

Voyons maintenant un exemple d'une fonction qui est infiniment dérivable en un point mais qui ne peut pas être représentée par sa série de Taylor, même si cette dernière est bien définie:

Exemple: Considérons \[ f(x)= \begin{cases} e^{-\frac1{x^2}}&\text{ si }x\neq 0\\ 0&\text{ si }x=0\,. \end{cases} \] Clairement, \(f\) est infiniment dérivable partout en dehors de \(x=0\). En travaillant un peu plus (laissé en exercice), on peut montrer que \(f\) est également infiniment dérivable en \(x=0\), et que ses dérivées en ce point sont toutes nulles: \[ f^{(k)}(0)=0\qquad \forall k\geqslant 1\,. \] On en déduit que le \(DL(n)\) en \(x_0=0\) existe, et est donnée par \[ f(x)=\underbrace{0+0\cdot x+0\cdot x^2+\cdots +0\cdot x^n}_{=0} +\underbrace{R_n(x)}_{=f(x)} \] On en déduit que sa série de MacLaurin est la série entière dont tous les termes sont nuls; elle converge donc en tout \(x\in \mathbb{R}\), mais ne représente évidemment pas la fonction...

Ce qui se passe, ici, c'est que le reste est égal à la fonction elle-même, et donc pour tout \(x\neq 0\), \(\lim_{n\to\infty}R_n(x)\neq 0\).