1.7 Solutions de \(x^2=2\)

Revenons à la question posée précédemment: si l'équation \[x^2=2\] ne possède pas de solution dans \(\mathbb{Q}\), en possède-t-elle une dans \(\mathbb{R}\)?

Montrer qu'il existe effectivement un \(x\in\mathbb{R}\) tel que \(x^2=2\), ''directement'' est trop difficile. On fait donc un petit détour, en commençant par définir l'ensemble \[ A:= \{x\in \mathbb{R}_+\,:\,x^2\lt 2\}\,. \] Remarquons que par exemple \(0\in A\), ou encore \(1\in A\), et donc \(A\) n'est pas vide.

Lemme: \(A\) n'a pas d'élément maximal.

Il s'agit de montrer que pour tout élément \(x\in A\), il existe toujours un \(x'\in A\) qui est strictement plus grand que \(x\).

Cherchons un \(x'\) de la forme \(x'=x+\frac{1}{n}\), avec \(n\in\mathbb{N}^*\). Dans ce cas, \[x'^2=(x+\tfrac1n)^2=x^2+\frac{2x}{n}+\frac{1}{n^2}\,.\] Puisque \(n\geqslant 1\), on peut majorer: \(\frac{1}{n^2}\leqslant \frac{1}{n}\). Ainsi, \[ x'^2\leqslant x^2+\frac{2x}{n}+\frac1n= x^2+\frac{2x+1}{n}\,. \] Puisqu'on veut \(x'\in A\), c'est-à-dire \(x'^2\lt 2\), imposons \[ x^2+\frac{2x+1}{n}\lt 2\,, \] qui est équivalente à \[ n\gt \frac{2x+1}{2-x^2}\,. \] Le membre de droite est bien défini et positif puisque \(2-x^2\gt 0\). Et un \(n\) satisfaisant à cette propriété existe toujours puisque, quelle que soit la valeur de \(\frac{2x+1}{2-x^2}\), il existe toujours un \(n\) plus grand que ce nombre (ceci découle du fait que \(\mathbb{N}\) n'est pas majoré). Si on prend un tel \(n\), on a donc \(x'=x+\frac{1}{n}\gt x\), et \[\begin{aligned} x'^2=(x+\tfrac1n)^2&=x^2+\frac{2x}{n}+\frac{1}{n^2}\\ &\lt x^2+\frac{2x}{n}+\frac1n\\ &= x^2+\frac{2x+1}{n}\\ &\lt x^2+\frac{2x+1}{\frac{2x+1}{2-x^2}}=2\,. \end{aligned}\] Ceci montre que \(A\) n'a pas d'élément maximal.

Ensuite, remarquons que \(A\) est majoré: \(x\leqslant 3\) pour tout \(x\in A\). En effet, si \(x\gt 3\), alors \(x^2\gt 9\gt 2\), et donc \(x\not\in A\).

On peut maintenant considérer le réel défini comme le supremum de \(A\): \[ s:= \sup A\,. \]

Théorème: Le nombre \(s\) défini ci-dessus satisfait \(s^2=2\).

Si on avait \(s\in A\), cela impliquerait que \(s\) est un élément maximal pour \(A\). Comme on vient de voir que \(A\) ne possède pas d'élément maximal, on en déduit que \(s\not\in A\), et donc que \[ s^2\geqslant 2\,. \] Nous allons maintenant montrer que \[s^2\leqslant 2\,.\] Pour ce faire, commençons par définir le réel \[ M:= \frac{2+s^2}{2s}\, \] et montrons que \(M\) majore \(A\). En effet, observons que si \(x\gt M\), alors \[\begin{aligned} x^2=(s+(x-s))^2 &=s^2+2s(x-s)+\underbrace{(x-s)^2}_{\geqslant 0}\\ &\geqslant s^2+2s(x-s) \\ &\gt s^2+2s(M-s)\\ &= s^2+2s\bigl(\tfrac{2+s^2}{2s}-s\bigr) =2\,, \end{aligned}\] et donc \(x\not \in A\). Ceci implique que si \(x\in A\), alors \(x\leqslant M\); donc \(M\) majore \(A\). Mais, comme \(s\) est par définition le plus petit majorant de \(A\), on a que \(s\leqslant M\), c'est-à-dire \[ s\leqslant \frac{2+s^2}{2s}\,, \] qui est équivalente à \(s^2\leqslant 2\).

Comme \(s^2\) est à la fois \(\geqslant 2\) et \(\leqslant 2\), ceci implique \(s^2=2\).

Le nombre \(s\) est appelé racine carrée de deux, et est noté \[s=\sqrt{2}\,.\] Puisque \(\sqrt{2}\in \mathbb{R}\) mais \(\sqrt{2}\not\in\mathbb{Q}\) comme on a vu, \(\sqrt{2}\) est par définition irrationnel .

La fonction ''racine''

On peut, en utilisant la même idée que celle présentée dans la preuve de la section précédente, montrer que pour tout \(y\in \mathbb{R}_+\), l'équation \[x^2=y\] possède une solution dans \(\mathbb{R}_+\).

Cette analyse montre que la fonction \[\begin{aligned} f:\mathbb{R}_+&\to\mathbb{R}_+\\ x&\mapsto x^2 \end{aligned}\] et une surjection. On montre ici que c'est également une injection, et donc que cette fonction est une bijection.

Si \(y\geqslant 0\), l'unique \(x\geqslant 0\) tel que \(x^2=y\) se note \(x=\sqrt{y}\), et se nomme racine carrée de \(y\). Toute la fonction réciproque s'appelle la fonction racine carrée: \[\begin{aligned} f^{-1}:\mathbb{R}_+&\to\mathbb{R}_+\\ x&\mapsto \sqrt{x} \end{aligned}\]

Comme on sait, son graphe s'obtient en réfléchissant celui de \(f(x)=x^2\) à travers la diagonale du premier quadrant:

Remarque: La méthode se généralise, et permet de montrer que pour tout \(n\in \mathbb{N}^*\), et pour tout \(y\in \mathbb{R}_+\), l'équation \[x^n=y\] possède une unique solution dans \(\mathbb{R}_+\). Celle-ci se note \(\sqrt[n]{y}\) et se nomme racine \(n\)-ème de \(y\).

L'utilisation de la notion de supremum/infimum, pour construire la racine carrée ci-dessus, n'est évidemment qu'un exemple de ce que l'on peut faire dans les réels. Comme on verra dans la suite, l'utilisation de ces notions sera utilisée constamment, et fournira un socle sur lequel toute l'analyse réelle pourra être construite.

Quiz 1.7-1 : Pour montrer que dans \(\mathbb{R}_+\), l'équation ''\(x^2=2\)'' possède une solution...
  1. ... on prend une calculatrice, on appuie sur la touche \(\boxed{\mathsf{2}}\), puis sur \(\boxed{\sqrt{\phantom{-}}}\), et on voit bien que c'est un nombre qui commence par \(1.41421356\dots\), donc ça existe.
  2. ... on prend la racine carrée des deux côtés, \(\sqrt{x^2}=\sqrt{2}\), et comme \(\sqrt{x^2}=x\), on a bien \(x=\sqrt{2}\).
  3. ... on peut simplement calculer l'élément maximal de l'ensemble \[\{x\in \mathbb{R}\,:\,x^2\lt 2\}\,.\]
Quiz 1.7-2 : Vrai ou faux?
  1. \(\sqrt{9}=\pm 3\)
  2. Pour tout \(x\in \mathbb{R}\), \(\sqrt{x^2}=x\).
  3. Pour tout \(x\in \mathbb{R}\), \(\sqrt{x^2}=|x|\).