Revenons à la question posée précédemment: si l'équation \(x^2=2\) ne possède pas de solution dans \(\mathbb{Q}\), en possède-t-elle une dans \(\mathbb{R}\)?
Montrer qu'il existe effectivement un \(x\in\mathbb{R}\) tel que \(x^2=2\), ''directement'' est trop difficile. On fait donc un petit détour, en commençant par définir l'ensemble \[ A:= \{x\in \mathbb{R}_+\,:\,x^2\lt 2\}\,. \] Remarquons que par exemple \(0\in A\), ou encore \(1\in A\), et donc \(A\) n'est pas vide.
Lemme: \(A\) n'a pas d'élément maximal.
Il s'agit de montrer que pour tout élément \(x\in A\), il existe toujours un
\(x'\in A\) qui est strictement plus grand que \(x\).
Cherchons un \(x'\) de la forme \(x'=x+\frac{1}{n}\), avec \(n\in\mathbb{N}^*\).
Dans ce cas,
\[x'^2=(x+\tfrac1n)^2=x^2+\frac{2x}{n}+\frac{1}{n^2}\,.\]
Puisque \(n\geqslant 1\), on peut majorer: \(\frac{1}{n^2}\leqslant \frac{1}{n}\).
Ainsi,
\[
x'^2\leqslant x^2+\frac{2x}{n}+\frac1n= x^2+\frac{2x+1}{n}\,.
\]
Puisqu'on veut \(x'\in A\), c'est-à-dire
\(x'^2\lt 2\), imposons
\[
x^2+\frac{2x+1}{n}\lt 2\,,
\]
qui est équivalente à
\[
n\gt \frac{2x+1}{2-x^2}\,.
\]
Le membre de droite est bien défini et positif puisque \(2-x^2\gt 0\).
Et un \(n\) satisfaisant à cette propriété existe toujours puisque, quelle que
soit la valeur de \(\frac{2x+1}{2-x^2}\), il existe toujours un \(n\) plus grand
que ce nombre (ceci découle du fait que \(\mathbb{N}\) n'est pas majoré).
Si on prend un tel \(n\), on a donc \(x'=x+\frac{1}{n}\gt x\), et
\[\begin{aligned}
x'^2=(x+\tfrac1n)^2&=x^2+\frac{2x}{n}+\frac{1}{n^2}\\
&\lt x^2+\frac{2x}{n}+\frac1n\\
&= x^2+\frac{2x+1}{n}\\
&\lt x^2+\frac{2x+1}{\frac{2x+1}{2-x^2}}=2\,.
\end{aligned}\]
Ceci montre que \(A\) n'a pas d'élément maximal.
Ensuite, remarquons que \(A\) et majoré: \(x\leqslant 3\) pour tout \(x\in A\).
En effet, si \(x\gt 3\), alors \(x^2\gt 9\gt 2\), et donc \(x\not\in A\).
On peut maintenant considérer le réel défini comme le supremum de \(A\):
\[ s:= \sup A\,. \]
Puisqu'on sait que \(A\) n'a pas d'élément maximal, on a nécessairement
\(s\not\in A\), ce qui signifie que
\[ s^2\geqslant 2\,. \]
Nous allons maintenant montrer que
\[s^2\leqslant 2\,.\]
Pour ce faire, montrons que le nombre
\(M:= \frac{2+s^2}{2s}\) majore \(A\). En effet,
observons que si \(x\gt M\), alors
\[\begin{aligned}
x^2=(s+(x-s))^2
&=s^2+2s(x-s)+\underbrace{(x-s)^2}_{\geqslant 0}\\
&\geqslant s^2+2s(x-s) \\
&\gt s^2+2s(M-s)\\
&= s^2+2s\bigl(\tfrac{2+s^2}{2s}-s\bigr)
=2\,,
\end{aligned}\]
et donc \(x\not \in A\). Ceci implique que si \(x\in A\), alors \(x\leqslant
M\); donc \(M\) majore \(A\).
Mais comme \(s\) est par hypothèse le plus petit majorant de \(A\), on
a que \(s\leqslant M\), c'est-à-dire
\[ s\leqslant \frac{2+s^2}{2s}\,, \]
qui est équivalente à \(s^2\leqslant 2\).
Comme \(s^2\) est à la fois \(\geqslant 2\) et \(\leqslant 2\),
ceci implique \(s^2=2\).
Le nombre \(s\), qui est par définition irrationnel puisque \(s\in \mathbb{R}\) mais \(s\not\in\mathbb{Q}\) , est appelé racine carrée de deux, et est noté \[s=\sqrt{2}\,.\]
On peut, en utilisant la même idée que celle présentée dans la preuve de la
section précédente,
montrer que pour tout \(y\in \mathbb{R}_+\), l'équation
\[x^2=y\]
possède une solution dans \(\mathbb{R}_+\).
Cette analyse montre que la fonction
\[\begin{aligned}
f:\mathbb{R}_+&\to\mathbb{R}_+\\
x&\mapsto x^2
\end{aligned}\]
et une surjection.
On montre
ici
que c'est également une injection, et donc que cette fonction est une bijection.
Si \(y\geqslant 0\), l'unique \(x\geqslant 0\) tel que \(x^2=y\) se note
\(x=\sqrt{y}\), et se
nomme racine carrée de \(y\).
Toute la fonction réciproque s'appelle la fonction racine carrée:
\[\begin{aligned}
f^{-1}:\mathbb{R}_+&\to\mathbb{R}_+\\
y&\mapsto \sqrt{y}
\end{aligned}\]
Remarque: La méthode se généralise, et permet de montrer que pour tout \(n\in \mathbb{N}^*\), et pour tout \(y\in \mathbb{R}_+\), l'équation \[x^n=y\] possède une solution dans \(\mathbb{R}_+\). Celle-ci se note \(\sqrt[n]{y}\) et se nomme racine \(n\)-ème de \(y\).