Un autre type d'intégrale important, qui n'entre pas dans le cadre de l'intégrale de Riemann/Darboux, est celui où on intègre une fonction sur un domaine non-borné. Ici, on considérera principalement des intervalles de la forme \[[a,\infty[\,,\quad ]-\infty,b]\,,\quad \text{ ou } ]-\infty,+\infty[\,.\]
Exemple: Considérons \(f(x)=e^{-x}\), sur \([a,\infty[\). Par exemple, si \(a=0\):
On sait que \[ \lim_{x\to+\infty}f(x)=0\,, \] mais peut-on quand-même calculer l'aire sous son graphe?Généralisons l'idée présentée dans le dernier exemple:
Si \(f\) est positive sur tout l'intervalle, l'intégrale généralisée peut être interprétée comme l'aire sous son graphe. Mais l'intégrale généralisée est définie pour des fonctions de signe a priori quelconque, et dans ce cas, la valeur de l'intégrale ne peut plus être interprétée comme une aire géométrique.
On se souvient que dans le chapitre sur les séries, la série
harmonique a un terme général qui tend vers zéro, mais trop lentement pour faire
converger la série.
Le même phénomène s'observe dans les intégrales de Type II: il ne suffit pas que
\(\lim_{x\to\infty}f(x)=0\) pour que son intégrale généralisée converge.
Exemple: Considérons \(f(x)=\frac1x\) sur \([1,\infty[\). On a \[\begin{aligned} \int_1^\infty\frac{1}{x}\,dx &= \lim_{L\to\infty} \int_1^L\frac{1}{x}\,dx\\ &= \lim_{L\to\infty} \log(x)\Bigr|_1^L\\ &= \lim_{L\to\infty} \log(L)\\ &=\infty\,. \end{aligned}\]
Exemple: Considérons \(f(x)=\frac{1}{1+x^2}\) sur \([1,+\infty[\):
\[\begin{aligned} \int_1^\infty\frac{dx}{x^2+1}&= \lim_{L\to\infty} \int_1^L\frac{dx}{x^2+1}\\ &= \lim_{L\to\infty} \bigl\{\arctan(L)-\arctan(1)\bigr\}= \frac{\pi}{2}-\frac{\pi}{4}=\frac{\pi}{4}\,. \end{aligned}\]Remarque: Remarquons qu'à la différence des séries, une fonction peut ne pas tendre vers zéro et avoir une intégrale convergente! Considérons une fonction dont le graphe est du type suivant:
La fonction est celle définie par les contours des triangles, et vaut zéro entre les triangles. Le \(k\)ème triangle a une base de largeur \(b_k\gt 0\); tous les triangles sont de hauteur égale à \(1\). Comme \(f(x)\geqslant 0\), l'intégrale généralisée représente l'aire sous le graphe de \(f\), qui vaut la somme des aires de tous les triangles: \[ \int_0^\infty f(x)\,dx=\sum_{k\geqslant 1}A_k=\sum_{k\geqslant 1}b_k\,, \] où \(A_k=b_k\cdot 1=b_k\) est l'aire du \(k\)ème triangle. Si les bases décroissent suffisamment vite, alors la somme des aires de tous les triangles est finie. On peut le garantir en prenant par exemple \(b_k=\frac{1}{2^k}\). Dans ce cas, \[ \int_0^\infty f(x)\,dx=\sum_{k\geqslant 1}A_k=\sum_{k\geqslant 1}\frac{1}{2^k}=1\,, \] donc l'intégrale converge. Pourtant, comme les triangles ont tous une hauteur égale à \(1\), la fonction ne tend pas vers zéro.Exemple: Une intégrale de Type II très importante en théorie des probabilités (et en statistiques), est celle utilisée pour définir la fonction d'erreur (de Gauss): \[\Phi(x):= \frac{1}{\sqrt{2\pi}} \int_{-\infty}^x e^{-t^2/2}\,dt\]
On peut montrer (exercice) que l'intégrale converge toujours, et définit donc bien une fonction de \(x\in \mathbb{R}\).Comme pour celles de Type I, les intégrales de Type II ont un critère de comparaison, valabe pour des fonctions de signe constant.
Par la propriété de l'intégrale de Riemann/Darboux on peut écrire, pour tout \(L\gt a\), \[ 0\leqslant \int_a^L f(x)\,dx\leqslant \int_a^L g(x)\,dx\,, \] et par la propriété de Chasles, ces deux intégrales sont monotones croissantes en \(L\). Puisque la limite de la deuxième existe et est finie, celle de la première l'est aussi.
Exemple:
Étudions la convergence de l'intégrale généralisée donnée par
\[
\int_{0}^\infty e^{-x^2}\,dx\,.
\]
On ne connaît pas de primitive pour \(e^{-x^2}\), mais on peut quand-même
montrer que l'intégrale converge, en utilisant une
comparaison.
Le choix de la comparaison va être guidé par le fait que si on ne sait pas
intégrer \(e^{-x^2}\), on sait quand-même intégrer \(e^{-cx}\), quel que soit
\(c\gt 0\).
Décomposons d'abord l'intégrale en deux,
\[
\int_{0}^\infty e^{-x^2}\,dx=
\int_{0}^2 e^{-x^2}\,dx
+
\int_{2}^\infty e^{-x^2}\,dx\,,
\]
La première partie ne pose pas de problème: c'est l'intégrale
d'une fonction continue sur un intervalle fermé et borné, \([0,2]\). Pour la
deuxième partie, on a toujours que \(x\geqslant 2\), et donc \(x^2=x\cdot x\geqslant 2x\),
ce qui entraîne \(0\leqslant e^{-x^2}\leqslant e^{-2x}\). Or comme
\[
\int_{2}^\infty e^{-2x}\,dx=\lim_{L\to\infty}\Bigl\{-\frac12
e^{-2x}\Bigr\}\Big|_2^L=\frac12 e^{-4}\,,
\]
on conclut que \(\int_{0}^\infty e^{-x^2}\,dx\) converge aussi.
(On a pris \(c=2\), mais on aurait pu prendre n'importe quel \(c\gt 0\).)
Exemple:
Considérons
\[ \int_1^\infty\frac{1}{\sqrt[5]{x^5+1}}\,dx\,.\]
On pourrait essayer d'utiliser
le fait que pour tout \(x\geqslant 1\),
\[
\sqrt[5]{x^5+1}\geqslant \sqrt[5]{x^5}=x\,,
\]
ce qui donne
\[
\int_1^\infty\frac{1}{\sqrt[5]{x^5+1}}\,dx
\leqslant
\int_1^\infty\frac{1}{x}\,dx
\,.\]
Malheureusement,
comme l'intégrale du membre de droite est infinie, cette inégalité ne nous
dit rien sur l'intégrale de départ!
Remarquons que si \(x\geqslant 1\), alors \(x^5\geqslant 1^5=1\), et donc
\[
\frac{1}{\sqrt[5]{x^5+1}}
\geqslant
\frac{1}{\sqrt[5]{x^5+x^5}}
= \frac{1}{\sqrt[5]{2x^5}}
= \frac{1}{\sqrt[5]{2}x}\,.
\]
Mais comme \(\int_1^\infty\frac{dx}{x}\) diverge, notre intégrale diverge aussi.
Théorème: Pour tout \(a>0\), \[ \int_a^\infty\frac{dx}{x^p}= \begin{cases} \frac{1}{(p-1)a^{p-1}} \text{ (converge)}& \text{ si }p>1\,,\\ +\infty \text{ (diverge)}& \text{ si }p\leqslant 1\,. \end{cases} \]
On a déjà traité le cas \(p=1\) dans un exemple précédent: \[ \int_a^\infty\frac1x \,dx= \lim_{L\to\infty}\log(x)\Bigr|_a^L=+\infty \] Ensuite, pour \(p\neq 1\), on peut faire \[ \int_a^L \frac{dx}{x^p}= \frac{x^{-p+1}}{-p+1}\Big|_{a}^L = \frac{1}{1-p} \begin{cases} (\frac{1}{L^{p-1}}-\frac{1}{a^{p-1}})&\text{ si }p>1\\ (L^{1-p}-\frac{1}{a^{p-1}})&\text{ si }p<1\\ \end{cases} \] Donc \[ \lim_{L\to \infty} \int_a^L \frac{dx}{x^p}= \begin{cases} \frac{1}{(p-1)a^{p-1}}& \text{ si }p>1\,,\\ +\infty& \text{ si }p< 1\,, \end{cases} \] ce qui conclut la preuve pour tous les cas.
Exemple: Considérons \[ \int_1^\infty\frac{dx}{x^7+1}\,. \] On peut en principe, avec les méthodes du chapitre sur l'intégration des fonctions rationnelles, calculer la primitive de \(\frac{1}{x^7+1}\). Mais si on désire juste savoir si cette intégrale converge ou diverge, sans passer par la primitive, on peut utiliser une comparaison et le théorème ci-dessus. En effet, comme \(\frac{1}{x^7+1}\leqslant \frac{1}{x^7}\) pour tout \(x\gt 0\) (donc en particulier pour tout \(x\geqslant 1\)), on a \[ \int_1^\infty\frac{dx}{x^7+1}\leqslant \int_1^\infty\frac{dx}{x^7}<\infty \] En effet, dans cette dernière, \(a=1>0\), et \(p=7>1\).
Il existe bien sûr une affirmation analogue pour \(\displaystyle \int_{-\infty}^{b}f(x)\,dx\).
Exemple: Considérons l'intégrale généralisée \[ \int_2^\infty \frac{dx}{x^2+\sin(x)e^{\sin(x)}}\,. \] Remarquons que la fonction que l'intègre est bien définie, puisque \[ x^2+\sin(x)e^{\sin(x)}\geqslant x^2-e\geqslant 4-e\gt 0\qquad \forall x\geqslant 2\,. \] Lorsque \(x\) est grand, ce qui est responsable de la petitesse de \(f(x)=\frac{1}{x^2+\sin(x)e^{\sin(x)}}\geqslant 0\) est le ''\(x^2\)'' au dénominateur. Ceci suggère de considérer \[g(x)=\frac{1}{x^2}\,.\] On a bien \(f(x), g(x)\geqslant 0\) pour tout \(x\geqslant 2\), et \[\begin{aligned}&= \lim_{x\to\infty}\frac{x^2}{x^2+\sin(x)e^{\sin(x)}}\\ &= \lim_{x\to\infty}\frac{1}{1+\frac{\sin(x)e^{\sin(x)}}{x^2}}=1\gt 0 \end{aligned}\] Or l'intégrale de \(g\) converge (\(p=2\gt 1\)), donc celle de \(f\) converge aussi.
Nous allons voir maintenant que parfois, une série peut être comparée à une intégrale généralisée de Type II, ce qui peut grandement faciliter l'étude de sa convergence. Ceci vient du fait que l'intégrale étant par définition construite à l'aide d'une variable continue \(x\), son étude peut se faire à l'aide du Théorème Fondamental de l'Analyse (un outil qui n'existe pas pour l'étude des séries, dont la variable \(n\) est discrète).
Considérons une série \(\sum_{n\geqslant 1}a_n\) dont le terme général \(a_n\) est en fait une fonction réelle \(f(x)\) évaluée en \(x=n\): \[ a_n=f(n) \]
Il est alors possible, sous certaines conditions, de relier la convergence de la série à l'intégrabilité de la fonction à l'infini:Théorème: Soit \(a>0\) et \(f:[a,\infty[\to \mathbb{R}_+\), continue et décroissante. Soit \(n_0\) un entier tel que \(n_0\geqslant a\). Considérons la série de terme général \(a_n=f(n)\). Alors \[ \sum_{n\geqslant n_0}a_n\quad \text{converge}\quad \Leftrightarrow\quad \int_a^{\infty} f(x)\,dx\quad \text{converge}\,. \]
Pour simplifier, supposons que \(a=n_0=1\).
D'une part,
pour chaque entier \(n\geqslant 2\), on peut interpréter \(a_n\) comme l'aire d'un
rectangle de largeur égale à \(1\) situé à gauche de \(x=n\), dont la base est
l'intervalle \([n-1,n]\), de hauteur \(a_n=f(n)\).
Comme \(f\) est décroissante, ce rectangle est au-dessous du
graphe de \(f\) sur tout
l'intervalle \([n-1,n]\):
Exemple: Comme \(f(x)=\frac{1}{x^p}\) est décroissante pour tout \(p\geqslant 0\), on déduit du théorème précédent que \[ \sum_{n\geqslant 1}\frac{1}{n^p}\quad \text{converge}\quad \Leftrightarrow\quad \int_1^{\infty}\frac{1}{x^p}\,dx\quad \text{converge}\,. \] Par le théorème de la section précédente, ceci fournit donc le résultat déjà prouvé dans le chapitre sur les séries: \[\sum_{n\geqslant 1}\frac{1}{n^p} \begin{cases} \text{converge}&\text{ si }p>1\,,\\ \text{diverge}&\text{ si }0\leqslant p\leqslant 1\,. \end{cases} \]
Passons maintenant au cas d'un type de série qu'aucun de nos critères de convergence permet d'étudier:
Exemple:
Considérons
\[ \sum_{n\geqslant 2} \frac{1}{n(\log(n))^\mu}\,,
\]
où \(\mu>0\).
Si \(\mu=0\), cette série est la série harmonique, donc elle diverge. Mais si
\(\mu>0\), son terme général décroît strictement plus vite
que \(\frac1n\).
On peut alors
se poser la question de savoir si le terme \(\frac{1}{\log(n)^\mu}\) est
suffisant pour permettre à la série de converger.
Voyons le terme général comme \(a_n=f(n)\), où
\[f(x)=\frac{1}{x(\log(x))^\mu}\,.
\]
Remarquons que \(f\) est
positive et strictement décroissante, puisque
\[
f'(x)=-\frac{(\log x)^\mu+\mu(\log x)^{\mu-1}}{(x(\log x)^\mu)^2}<0\qquad
\forall x\geqslant 2\,.
\]
Donc, par le théorème précédent, la série converge si et seulement si
l'intégrale généralisée
\[
\int_2^\infty\frac{1}{x(\log x)^\gamma}\,dx
\]
converge.
Mais, par le changement de variable \(z=\log(x)\),
\[\begin{aligned}
\int_2^\infty\frac{1}{x(\log x)^\mu}\,dx
&=\lim_{L\to\infty} \int_2^L\frac{1}{x(\log x)^\mu}\,dx\\
&=\lim_{L\to\infty} \int_{\log 2}^{\log L}\frac{1}{z^\mu}\,dz\\
&=\int_{\log 2}^\infty\frac{1}{z^\mu}\,dz\,,
\end{aligned}\]
qui comme on sait converge si et seulement si \(\mu>1\). On en conclut que
\[ \sum_{n\geqslant 2} \frac{1}{n(\log(n))^\mu}
\begin{cases}
\text{converge}&\text{ si }\mu>1\,,\\
\text{diverge}&\text{ si }\mu\leqslant 1\,.
\end{cases}
\]
Remarque: Ce dernier résultat permet de donner des exemples de séries dont le terme général décroît plus vite que celui de la série harmonique, mais qui sont aussi divergentes. Par exemple: \(\sum_n\frac{1}{n\log(n)}\) diverge.