Dans cette section nous étudierons des primitives de la forme \[ \int \frac{P(x)}{M(x)}\,dx\,, \] où \(P\) et \(M\) sont des polynômes. Bien qu'il existe une théorie générale, comportant une composante algébrique qui n'a pas sa place dans ce cours, nous présenterons plutôt les idées principales, et verrons comment les implémenter sur les exemples les plus importants.
Considérons un quotient \(\frac{P(x)}{M(x)}\), où \(P(x)\) est de degré \(p\) et \(M(x)\) est de degré \(m\): \[\deg(P)=p\,,\qquad \deg(M)=m\,.\] Ceci signifique que \[\begin{aligned} P(x)&=a_0+a_1 x+a_2x^2+\cdots+a_px^p\,,\\ M(x)&=b_0+b_1 x+b_2x^2+\cdots+b_mx^m\,, \end{aligned}\] où \(a_p\neq 0\) et \(b_m\neq 0\).
Il est naturel de distinguer deux cas:
Lorsque \(p\geqslant m\), on peut tout de suite faire la division polynomiale de \(P(x)\) par \(M(x)\). On obtient alors quelque chose comme \[ \frac{P(x)}{M(x)}=\underbrace{a(x)}_{\text{OK}} +\frac{r(x)}{M(x)}\,, \] où \(a(x)\) est un polynôme (donc facile à intégrer), et \(r(x)\) est aussi un polynôme, appelé le reste de la division, qui ne se laisse pas diviser par \(M(x)\) puisque son degré \(\deg(r)\lt \deg(M)\).
Exemple: Considérons \[ \int \frac{x^3}{x^2+1}\,dx\,. \] Ici, \(\deg(P)=3\gt 2=\deg(M)\), donc on peut faire la division polynomiale de \(P(x)\) par \(M(x)\), puis intégrer le résultat: \[\begin{aligned} \int \frac{x^3}{x^2+1}\,dx& = \int \Bigl\{ \underbrace{x}_{a(x)}+\underbrace{\frac{-x}{x^2+1}}_{\frac{r(x)}{M(x)}} \Bigr\}\,dx\\ &=\frac{x^2}{2}-\frac12 \int \frac{2x}{x^2+1} \,dx\\ &=\frac{x^2}{2} -\frac12\log(x^2+1)+C \end{aligned}\] (Dans la dernière ligne, on a utilisé \(u=x^2+1\).)
En général, la partie ''difficile'' est bien sûr dans l'intégration du deuxième terme \(\frac{r(x)}{M(x)}\), c'est pourquoi on passera plus de temps sur le cas où le degré du numérateur est plus petit que celui du dénominateur.
Dans ce deuxième cas, plus difficile, nous devrons regarder de plus près le
le polynôme \(M(x)\).
Avant de passer à l'approche utilisée dans le cas général,
considérons les cas très importants des valeurs petites de \(m\). Plus
précisément, les cas \(m\leqslant 2\), que l'on sait déjà traiter par les méthodes
élémentaires vues précédemment.
\(\underline{m=1}\): Le cas le plus simples est celui où \(m=1\), qui force \(p=0\). On est donc dans le cas où \(P\) est une constante, \(P(x)=K\), et \(M\) est un polynôme de degré \(1\). Ceci ne pose aucun problème du point de vue de l'intégration: \[ \int \frac{K}{ax+b}\,dx=\frac{K}{a}\log|ax+b|+C\,. \] \(\underline{m=2}\): Si \(m=2\), \(M\) est un polynôme de degré \(2\): \[M(x)=b_0+b_1x+b_2x^2\,,\] où \(b_2\neq 0\). Dans ce cas, le procédé d'intégration dépendra alors du signe du discriminant, \[ \Delta=b_1^2-4b_0b_2\,, \] ainsi que du polynôme \(P\), qui peut être soit une constante (si \(p=0\)), soit un polynôme de degré \(1\) (si \(p=1\)).
Commençons par le cas où \(\Delta\leqslant 0\), en considérant des exemples:
Exemple: (\(\Delta\lt 0\), \(p=0\)) \[ \int \frac{K}{\underbrace{x^2+2}_{\Delta\lt 0!}}\,dx= \frac{K}2 \int \frac{dx}{(x/\sqrt{2})^2+1}=\frac{K}{\sqrt{2}}\arctan(x/\sqrt{2})+C \] (Dans la dernière ligne: \(u=\frac{x}{\sqrt{2}}\).)
Exemple: (\(\Delta\lt 0\), \(p=0\)) Lorsque \(\Delta\lt 0\) et que \(M(x)\) contient un terme en \(x\), on pourra compléter le carré pour se ramener au cas traité dans l'exemple précédent: \[\begin{aligned} \int \frac{dx}{\underbrace{x^2+2x+3}_{\Delta\lt 0!}} &= \int \frac{dx}{(x+1)^2+2}\\ &= \frac12 \int \frac{dx}{(\frac{x+1}{\sqrt{2}})^2+1}\\ &=\frac{1}{\sqrt{2}}\arctan\bigl(\frac{x+1}{\sqrt{2}}\bigr)+C \end{aligned}\] (Dans la dernière ligne: \(u=\frac{x+1}{\sqrt{2}}\).)
Exemple: (\(\Delta\lt 0\), \(p=1\)) Si \(P(x)=\alpha x+\beta\), on peut simplement séparer le quotient en deux parties, que l'on intègre individuellement: \[\begin{aligned} \int \frac{\alpha x+\beta}{\underbrace{x^2+1}_{\Delta\lt 0!}}\,dx &= \frac{\alpha}{2}\int \frac{2x}{x^2+1}\,dx +\beta\int \frac{1}{x^2+1}\,dx\\ &= \frac{\alpha}{2}\log(x^2+1)+\beta \arctan(x)+C\,. \end{aligned}\] (Dans la dernière ligne: \(u=x^2+1\).)
Exemple: (\(\Delta=0\)) \[\begin{aligned} \int\frac{1}{\underbrace{x^2-4x+4}_{\Delta=0}}\,dx &= \int\frac{1}{(x-2)^2}\,dx=\frac{-1}{x-2}+C\,. \end{aligned}\]
Tournons-nous maintenant vers le cas \(\Delta\gt 0\); dans ce cas, la grande différence est bien sûr que \(M(x)\) possède deux racines, et peut se factoriser. C'est alors qu'on peut décomposer le quotient \(\frac{P(x)}{M(x)}\) en une somme de quotients plus simples; on appelle cette procédure la décomposition en éléments simples.
Commençons par un exemple élémentaire, toujours dans le cas \(m=2\). Comme il contient les idées principales que nous utiliserons par la suite, nous le traiterons assez en longueur...
Exemple:
(\(\Delta>0\), \(p=0\))
Considérons
\[
\int \frac{dx}{\underbrace{1-x^2}_{\Delta\gt 0!}}
\]
Comme les racines de \(M(x)\) sont \(+1\)
et \(-1\), sa factorisation permet d'écrire
\[\frac{1}{1-x^2}=\frac{1}{(1-x)(1+x)}\,.\]
L'idée de la
décomposition en éléments simples est d'essayer de trouver des
constantes \(A\) et \(B\) telles que
\[
\frac{1}{(1-x)(1+x)}=
\frac{A}{1-x}+\frac{B}{1+x}\qquad \forall x\not\in \{\pm 1\}\,.
\]
Attention: les constantes doivent être telles que cette dernière égalité
soit vraie pour tout \(x\) différent de \(1\) et \(-1\).
Voyons comment rendre cette restriction plus explicite.
Si on met au même dénominateur du côté droit,
\[
\frac{1}{(1-x)(1+x)}=
\frac{A(1+x)+B(1-x)}{(1-x)(1+x)}\qquad \forall x\not\in \{\pm 1\}\,,
\]
et comme les dénominateurs sont les mêmes, il reste
\[
1=
A(1+x)+B(1-x)\qquad \forall x\not\in \{\pm 1\}\,,
\]
qui est équivalent à
\[
(A-B)x+(A+B-1)=0 \qquad \forall x\not\in \{\pm 1\}\,.
\]
Mais encore, en définissant temporairement le polynôme
\[Q(x):= (A-B)x+(A+B-1)\,,\]
on peut récrire notre condition comme
\[
Q(x)=0 \qquad \forall x\not\in \{\pm 1\}\,.
\]
Puisque \(Q(x)\) est continu, cette condition est équivalente à
\[
Q(x)=0 \qquad \forall x\,.
\]
\(Q(x)\) représente l'équation d'une droite. Donc si cette
droite est nulle partout, il faut bien que sa pente et son ordonnée à l'origine
soient toutes les deux nulles.
Ainsi, les constantes \(A\) et \(B\) doivent nécessairement satisfaire
simultanément aux conditions \(A-B=0\), \(A+B-1=0\), que l'on peut écrire sous
forme d'un système en \(A\) et \(B\):
\[
\begin{cases}
A-B&=0\,\\
A+B&=1\,.
\end{cases}
\]
Ce système possède une
unique solution, donnée par \(A=B=\frac12\). On a donc montré que
\[
\frac{1}{1-x^2}=\frac{1/2}{1-x}+\frac{1/2}{1+x}\quad \forall x\not \in \{\pm
1\}\,,
\]
qui est ce qu'on appelle une décomposition en éléments simples.
Du point de vue de l'intégration, le problème devient alors très simple:
\[\begin{aligned}
\int \frac{dx}{(1-x)(1+x)}
&=
\frac12\int\frac{1}{1-x}\,dx
+\frac12\int\frac{1}{1+x}\,dx\\
&=
-\frac12\log|1-x|
+\frac12\log|1+x|+C\\
&=\frac12\log\Bigl|
\frac{1+x}{1-x} \Bigr|+C
\end{aligned}\]
Lorsque le degré de \(M\) est supérieur à \(2\), on commencera par le factoriser autant que possible. Grâce au résultat suivant, démontré dans le chapitre sur les nombres complexes, cette factorisation contiendra toujours des morceaux de degré \(2\) au plus.
Une fois la factorisation de \(M\) connue, on devra sélectionner un bon choix de décomposition en éléments simples, puis identifier les coefficients d'un polynôme qui doit s'annuler en tout \(x\in \mathbb{R}\). On aura souvent recours au théorème suivant:
Théorème: Si un polynôme \[Q(x)=q_0+q_1x+q_2x^2+\cdots+q_nx^n\] s'annule en tout \(x\in \mathbb{R}\), c'est que ses coefficients sont tous nuls: \[q_0=q_1=q_2=\cdots=q_n=0\,.\]
Clairement, si \(Q\) s'annule partout il s'annule en particulier en \(x=0\), ce qui implique \(q_0=0\). Mais aussi, si \(Q\) s'annulle partout alors sa dérivée s'annulle partout. Puisque cette dérivée \[Q'(x)=q_1+2q_2x+\cdots+nq_nx^{n-1}\] s'annulle partout, elle s'annule en particulier en \(x=0\), ce qui donne \(q_1=0\). Par récurrence, on démontre donc que tous les coefficients sont nuls: \[ q_0=q_1=q_2=\cdots=q_n=0\,. \]
Voyons des exemples.
Exemple: Considérons \[ \int\frac{1}{x^3+x}\,dx \] La factorisation de \(M(x)\) est donnée par \[ M(x)=x(x^2+1)\,. \] Ici, une bonne décomposition est \[ \boxed{ \frac{1}{x(\underbrace{x^2+1}_{\Delta\lt 0})}=\frac{A}{x}+\frac{Bx+C}{x^2+1} \qquad x\neq 0 } \] En mettant au même dénominateur et en égalant les numérateurs, on arrive à \[ Q(x):= (A+B)x^2+Cx+(A-1)=0\qquad \forall x\neq 0 \] Par le théorème, tous les coefficients doivent être nuls, ce qui donne le système \[ \begin{cases} A+B&=0\\ C&=0\\ A&=1\,. \end{cases} \] On trouve donc \(A=1\), \(B=-1\), \(C=0\), ce qui permet d'intégrer: \[\begin{aligned} \int \frac{dx}{x(x^2+1)}&= \int\Bigl\{ \frac{1}{x}+\frac{-x}{x^2+1} \Bigr\}\,dx\\ &=\log|x|-\frac12\log(x^2+1)+C \end{aligned}\]
Exemple: Considérons \[ \int \frac{1}{x^3+2x^2+x}\,dx \] Factorisons le dénominateur: \[ \frac{1}{x^3+2x^2+x}= \frac{1}{x(x^2+2x+1)}= \frac{1}{x(x+1)^2} \] Puisqu'ici la factorisation de \(M\) contient une puissance ''\(2\)'', dans le terme \((x+1)^2\), la bonne décomposition inclut des répétitions: \[ \boxed{ \frac{1}{x(x+1)^2}=\frac{A}{x} +\frac{B_1}{x+1} +\frac{B_2}{(x+1)^2} \qquad \forall x\not\in \{0,-1\} } \] On trouve \(A=1\), \(B_1=-1\), \(B_2=-1\), et donc \[\begin{aligned} \int \frac{dx}{x^3+2x^2+x}&= \int \Bigl\{ \frac{1}{x}+\frac{-1}{x+1}+\frac{-1}{(x+1)^2} \Bigr\}\,dx\\ &=\log|x|-\log|x+1|+\frac{1}{x+1}+C \end{aligned}\]
Remarque: Si il y a quelque chose au numérateur, on le laisse (tant que son degré est inférieur à ce qu'il y a au dénominateur), et il participe juste au polynôme dont on égale tous les coefficients à zéro! Par exmple: \[ \frac{x^3}{(1+x^2)^2}=\frac{Ax+B}{1+x^2}+\frac{Cx+D}{(1+x^2)^2} \]
Dans la pratique, on peut tomber sur une décomposition en éléments simple dans des situations qui n'ont apparemment rien à voir avec des quotients de polynômes, typiquement après un changement de variable:
Exemple: Considérons l'intégrale indéfinie \[ \int\sqrt{\tan(x)}\,dx\,. \] En posant \(u=\sqrt{\tan(x)}\), qui donne \(dx=\frac{2u}{u^4+1}\,du\), on est amené à \[ 2\int\frac{u^2}{u^4+1}\,du\,. \] On peut alors factoriser \(u^4+1\) (voir la section sur la factorisation des polynômes, dans le chapitre sur les nombres complexes), puis effectuer une décomposition en éléments simples. (Pour les détails, voir ici, ou alors une autre façon de faire ici).
Si on veut d'autres exemples de comment utiliser (ou comment de pas utiliser) des décomposition en éléments simples, cliquer ici (blackpenredpen).