2.7 Polynômes et factorisation

Le Théorème Fondamental garantit qu'un polynôme complexe quelconque de degré \(n\), \[ P(z)=a_0+a_1z+a_2z^2+\dots+a_nz^n\,,\qquad a_n\neq 0\,, \] possède \(n\) racines complexes \(z_1,z_2,\dots,z_n\), et peut se factoriser en \[ P(z)=a_n(z-z_1)\cdots (z-z_n)\,. \] Passer de la première forme à la seconde est ce qu'on appelle la factorisation de \(P\).

La factorisation est donc directement reliée à la connaissance des racines de \(P\). Voyons quelques exemples.

Exemple: Factorisons le polynôme \[ P(z)=z^2+2z+2\,, \qquad (a_2=1\neq 0)\,, \] en commençant par chercher ses racines. L'équation \(P(z)=0\) ne possède pas de solutions réelles puisque \(\Delta=4-8=-4<0\). Mais étant de degré \(2\), \(P(z)\) doit posséder deux racines complexes (garanti par le Théorème Fondamental de l'Algèbre). Voyons deux façons de les trouver.

  1. On pose \(z=a+b\mathsf{i}\) (où \(a\) et \(b\) sont réels!), que l'on injecte dans l'équation \(z^2+2z+2=0\), pour trouver \[ (\underbrace{a^2-b^2+2a+2}_{=0})+\mathsf{i}(\underbrace{2ab+2b}_{=0})=0\,. \] On a donc un petit système \[\begin{aligned} a^2-b^2+2a+2&=0\\ 2b(a+1)&=0\,. \end{aligned}\] Considérons la deuxième condition: \(2b(a+1)=0\).
    • Cas 1): \(b=0\). Signifie que \(z\) est réel, or on a déjà dit qu'il n'y a pas de solution réelle.
    • Cas 2): \(a=-1\). Inséré dans la première condition, on obtient \(b=\pm \sqrt{1}=\pm 1\).
    On en déduit l'existence de deux racines, \(z_1=-1-\mathsf{i} \) et \(z_2=-1+\mathsf{i}\).
  2. On utilise la formule classique \[\begin{aligned} z =\frac{-b\pm \sqrt{b^2-4ac}}{2a} &=\frac{-2\pm \sqrt{-4}}{2}\\ &=\frac{-2\pm 2\sqrt{-1}}{2}\\ &=-1\pm\sqrt{-1}\\ &=-1\pm \mathsf{i}\,. \end{aligned}\]
On a donc la factorisation de \(P\): \[ P(z)=(z-(-1-\mathsf{i}))(z-(-1+\mathsf{i}))\,. \]

Remarque: Dans le cas général d'une équation du deuxième degré de la forme \[ az^2+bz+c=0\,, \] où \(a,b,c\in \mathbb{C}\) et \(a\neq 0\), on peut procéder comme dans le cas réel, en commençant par remarquer que l'équation est équivalente à \[ \left(z+\frac{b}{2a}\right)^2 =\frac{b^2-4ac}{4a^2}=:\omega\,. \] Lorsque \(\omega\neq 0\), on peut alors chercher ses deux racines (au sens de la section sur les racines de complexes), disons \(y_0\in\mathbb{C}\) et \(y_1\in \mathbb{C}\), et conclure que les deux racines du polynôme sont \[ z_k=-\frac{b}{2a}+y_k\,,\qquad k=0,1 \] Donc la formule \(\frac{-b\pm\sqrt{b^2-4ac}}{2a}\), habituellement utilisée pour des polynômes de degré \(2\) à coefficients réels, peut aussi s'utiliser lorsque les coefficients sont complexes, sauf que dans ce cas, toutes les grandeurs apparaissant sont complexes, et le terme ''\(\pm\sqrt{b^2-4ac}\)'' doit se comprendre comme étant la recherche des deux racines carrées du complexe \(b^2-4ac\).

La factorisation complète d'un polynôme peut être laborieuse, surtout si celui-ci est de degré élevé. Nous verrons quelques exemples en fin de section.

Par contre, la factorisation d'un polynôme de la forme \(P(z)=z^n-\omega\) s'obtient directement, à partir des racines \(n\)-èmes de \(\omega\).

Exemple: Par un des exemples traités dans la section précédente, la factorisation de \(P(z)=z^3-\mathsf{i}\) est donnée par \[ P(z)= (z-e^{\mathsf{i} \frac{\pi}{6}}) (z-e^{\mathsf{i} \frac{5\pi}{6}}) (z-e^{\mathsf{i} \frac{3\pi}{2}})\,. \]

Racines multiples

Ce que le théorème fondamental ne dit pas, c'est si les racines sont distinctes; or elles ne le sont pas toujours.

Si \(n_*\) est le plus grand entier tel que \((z-z_*)^{n_*}\) divise \(P\), on dit que \(z_*\) est une racine de \(P\) de multiplicité \(n_*\).

Exemple: Le polynôme \[P(z)=z^2-2\mathsf{i} z-1=(z-\mathsf{i})^2\] possède deux racines confondues: \(z_1=z_2=\mathsf{i}\). Donc \(\mathsf{i}\) est une racine de multiplicité \(2\).

En tenant compte des éventuelles multiplicités, la factorisation d'un polynôme de degré \(n\) est donc de la forme \[ P(z)=a_n(z-z_{i_1})^{n_1}(z-z_{i_2})^{n_2}\cdots(z-z_{i_k})^{n_k}\,, \] où maintenant les racines \(z_{i_1},\dots,z_{i_k}\) sont toutes distinctes, et où les entiers \(n_1,\dots,n_k\) satisfont à la condition: \(n_1+n_2+\cdots+n_k=n\).

Exemple: Le polynôme \(P(z)=z^3-(4-3\mathsf{i})z^2+(4-12\mathsf{i})z+12\mathsf{i}\) peut se factoriser ainsi: \[ P(z)=(z+3\mathsf{i})(z-2)^2\,. \] Ainsi, la racine \(z_1=-3\mathsf{i}\) est de multiplicité \(n_1=1\), et \(z_2=2\) est de multiplicité \(2\).

Racines d'un polynôme à coefficients réels
Soit \(P(z)\) un polynôme dont les coefficients sont tous réels (\(a_k\in \mathbb{R}\)). Si \(z_*\) est une racine de \(P\), \[P(z_*)=0\,,\] alors \(\overline{z_*}\) est aussi racine de \(P\): \[P(\overline{z_*})=0\,.\]

Soit \(P(z)=a_0+a_1z+a_2z^2+\dots+a_nz^n\). Supposons que \(P(z_*)=0\). Alors \[\begin{aligned} P(\overline{z_*}) &=a_0+a_1\overline{z_*}+a_2\overline{z_*}^2+\cdots+a_n\overline{z_*}^n\\ &=a_0+a_1\overline{z_*}+a_2\overline{z_*^2}+\cdots+a_n\overline{z_*^n}\\ &=\overline{a_0+a_1{z_*}+a_2{z_*^2}+\cdots+a_n{z_*^n}}\\ &=\overline{P(z_*)}\\ &=\overline{0}\\ &=0\,, \end{aligned}\] donc \(\overline{z_*}\) est aussi racine de \(P\).

Une conséquence intéressante est que si un polynôme a tous ses coefficients réels, alors à chaque racine \(z_*\) correspond une racine conjuguée: \(\overline{z_*}\).

Exemple: On a vu plus haut que le polynôme \(P(z)=z^2+2z+2\), dont tous les coefficients sont réels (\(a_0=a_1=2\), \(a_2=1\)), possède deux racines: \(z_1=-1-\mathsf{i}\) et \(z_2=-1+\mathsf{i}\). Et effectivement, celles-ci sont conjuguées l'une par rapport à l'autre: \[z_2=\overline{z_1}\,.\]

Ce résultat a deux conséquences très utiles. La première:

Si \(P\) est de degré impair et que tous ses coefficients sont réels, alors il possède au moins une racine réelle.

En effet, si \(P\) est de degré impair, alors par le théorème fondamental de l'algèbre l'ensemble de ses racines, \[R:=\{z\in \mathbb{C}\,:\,P(z)=0\}\,,\] contient un nombre impair d'éléments (même si certaines racines sont confondues). Par la proposition ci-dessus, si \(z\in R\) est une racine telle que \(\mathrm{Im}(z)\neq 0\), alors \(R\) contient aussi \(\overline{z}\neq z\). On peut donc retirer de \(R\) toutes les paires de racines distinctes conjuguées de ce type.

Puisque \(R\) contient au départ un nombre impair d'éléments, on conclut qu'après avoir retiré toutes ces paires, il doit rester au moins une racine dont la partie imaginaire est nulle; cette racine est donc réelle.

Remarque: Plus tard, on démontrera ce corollaire d'une autre manière, à l'aide du théorème de la valeur intermédiaire.

Exemple: Le polynôme \[P(z)=z^7-\pi z^6+\sqrt{2}z-1\] est de degré impair, et tous ses coefficients sont réels. Par le corollaire, il possède au moins une racine réelle.

Factorisation de polynômes à coefficients réels

La deuxième conséquence est sur la structure de la factorisation des polynômes réels:

Tout polynôme à coefficients réels \(P(x)\) peut se factoriser en un produit de polynômes irréductibles de degré \(1\) ou \(2\), à coefficients réels eux aussi.

Avec les mêmes coefficients réels, laissons la variable devenir complexe: \(P(z)\). Par la proposition, si \(z_*\) est racine de \(P\), alors \(\overline{z_*}\) l'est aussi. Donc la factorisation de \(P\) sera de la forme \[ P(z)= \cdots(z-z_*)\cdots(z-\overline{z_*})\cdots \] Or si on met ces deux termes ensemble, on obtient \[\begin{aligned} (z-z_*)(z-\overline{z_*}) &=z^2-(z_*+\overline{z_*})z+z_*\overline{z_*}\\ &=z^2-\underbrace{(2\mathrm{Re}(z_*))}_{\in \mathbb{R}!}z +\underbrace{|z_*|^2}_{\in \mathbb{R}!}\,, \end{aligned}\] qui est bien un polynôme de degré \(2\) à coefficients réels. Ceci prouve l'affirmation.

Exemple: Utilisons cette méthode pour donner une factorisation du polynôme réel \[P(x)=x^4+1\] (dont tous les coefficients sont réels) par des polynômes de degré \(2\) réels. On commence par chercher ses racines complexes, qui sont solutions de \(P(z)=z^4+1=0\). Ces racines satisfont donc \(z^4=-1\); ce sont les racines \(4\)-èmes de \(\omega=-1\). On trouve les racines \(4\)-èmes de \(-1\), par la méthode de la section précédente. On commence par écrire \[ \omega=-1=1\cdot e^{\mathsf{i} \pi}\,, \] qui donne, par le théorème, \[ z=\sqrt[4]{1}\cdot e^{\mathsf{i} \frac{\pi+2k\pi}{4}}\,,\qquad k=0,1,2,3. \] On trouve donc \[\begin{aligned} k=0&:\, z_0=e^{\mathsf{i}\frac{\pi}{4}}=+\tfrac{\sqrt{2}}{2}+\mathsf{i}\tfrac{\sqrt{2}}{2}\\ k=1&:\, z_1=e^{\mathsf{i}\frac{3\pi}{4}}=-\tfrac{\sqrt{2}}{2}+\mathsf{i}\tfrac{\sqrt{2}}{2}\\ k=2&:\, z_2=e^{\mathsf{i}\frac{5\pi}{4}}=-\tfrac{\sqrt{2}}{2}-\mathsf{i}\tfrac{\sqrt{2}}{2}\\ k=3&:\, z_3=e^{\mathsf{i}\frac{7\pi}{4}}=+\tfrac{\sqrt{2}}{2}-\mathsf{i}\tfrac{\sqrt{2}}{2}\\ \end{aligned}\] La factorisation de \(P\) en facteurs irréductibles complexes est donc \[ P(z)=\underbrace{1}_{a_4=1}(z-z_0)(z-z_1)(z-z_2)(z-z_3)\,. \] On remarque que \[ z_3=\overline{z_0},\qquad z_2=\overline{z_1}\,. \] Les paires conjuguées de racines de \(P(z)=z^4+1\) sont donc \((z_0,z_3)\) et \((z_1,z_2)\).

En regroupant ces termes dans la factorisation, on obtient des polynômes de degré \(2\) à coefficients réels: \[\begin{aligned} (z-z_0)(z-z_3) &=(z-z_0)(z-\overline{z_0})\\ &= z^2-2\mathrm{Re}{z_0}z+|z_0|^2 \\ &= z^2-\sqrt{2}z+1\,,\\ (z-z_1)(z-z_2) &=(z-z_1)(z-\overline{z_1})\\ &= z^2-2\mathrm{Re}{z_1}z+|z_1|^2 \\ &= z^2+\sqrt{2}z+1\,. \end{aligned}\] On obtient ainsi la factorisation de \(P\) en facteurs irréductibles réels: \[ P(z)= \bigl(z^2-\sqrt{2}z+1\bigr) \bigl(z^2+\sqrt{2}z+1\bigr)\,. \]

Avec quelques bonnes idées, on peut parfois éviter de passer par tout ce formalisme. Par exemple, \[\begin{aligned} z^4+1 &=(z^4{\color{blue}+2z^2}+1){\color{blue}-2z^2}\\ &=(z^2+1)^2-2z^2\\ &=(z^2+1)^2-(\sqrt{2}z)^2\\ &=(z^2+1-\sqrt{2}z)(z^2+1+\sqrt{2}z)\\ &=(z^2-\sqrt{2}z+1)(z^2+\sqrt{2}z+1)\,. \end{aligned}\] Plus tard, on utilisera cette factorisation pour calculer l'intégrale indéfinie \[ \int \frac{dx}{x^4+1}= \int \frac{dx}{ \bigl(x^2-\sqrt{2}x+1\bigr) \bigl(x^2+\sqrt{2}x+1\bigr) }\,. \]
Factorisation dans le cas général

Dans le cas général, pour factoriser un polynôme complexe \(P(z)\), on pourra

Exemple: Factorisons \[P(z)=z^3-(2-3\mathsf{i})z^2-(1+5\mathsf{i}) z+2+2\mathsf{i}\,. \] Pour commencer, en testant avec quelques nombres simples, on remarque que \(P(1)=0\) . Maintenant qu'on a cette racine, on sait que \(P\) peut se factoriser: \[ P(z)=(z-1)Q(z)\,. \] On trouve \(Q(z)\) en effectuant la division euclidienne de \(P(z)\) par \((z-1)\):

On a donc \[Q(z)=z^2-(1-3\mathsf{i})z-(2+2\mathsf{i})\,,\] qu'on factorise à son tour. En remarquant que \(Q(-2\mathsf{i})=0\), on fait la division
qui donne \(Q(z)=(z+2\mathsf{i})(z-(1-\mathsf{i}))\). On a donc factorisé \(P\): \[P(z)=(z-1)(z+2\mathsf{i})(z-(1-\mathsf{i}))\,.\]

Quiz 2.7-1 : (MAN 2021) Soit \(P\) le polynôme à coefficients réels défini par \[P(x)=x^4+1\,,\quad x\in \mathbb{R}\,.\] Vrai ou faux?
  1. Il n'existe aucun réel \(x_*\) tel que \(P(x_*)=0\).
  2. \(P\) ne peut pas se factoriser en un produit de monômes du premier degré (du type \(ax+b\) avec \(a,b\in \mathbb{R}\)).
  3. \(P\) ne peut pas se factoriser en un produit de binômes du second degré (du type \(ax^2+bx+c\) avec \(a,b,c\in\mathbb{R}\)).