Passons à l'utilisation du produit scalaire pour introduire des
projections.
Pour commencer, la projection orthogonale
d'un \(\boldsymbol{v}\in V\) sur un \(w\in V\) est définie par
\[ \mathrm{proj}_w(v):=
\frac{(v|w)}{(w|w)}w\,.
\]
Exemple:
Si \(f,g\in C([0,\pi])\) sont définies comme dans l'exemple précédent,
\(f(t)=t\), \(g(t)=\sin(t)\), on peut calculer
\[ \mathrm{proj}_g(f)=\frac{(f|g)}{(g|g)}g
=\frac{\pi}{\frac{\pi}{2}}g=2g\,,
\]
donc \(\mathrm{proj}_g(f)\) est la fonction \(\mathrm{proj}_g(f)(t)=2\sin(t)\).
Ou encore,
\[ \mathrm{proj}_f(g)=\frac{(g|f)}{(f|f)}f
=\frac{\pi}{\frac{\pi^3}{3}}g=\frac{3}{\pi^2}f\,,
\]
donc \(\mathrm{proj}_g(f)(t)=\frac{3}{\pi^2}t\).
Nous pouvons ensuite définir la projection orthogonale d'un vecteur
\(v\in V\) sur un sous-espace \(W\subset V\) (qu'on supposera de dimension
finie) comme étant
l'unique élément \(v_\parallel\in W\) qui réalise le minimum
\[\|v-v_\parallel\|=\min_{w\in W}\|v-w\|\,.\]
On note cette projection
\[
v_\parallel= \mathrm{proj}_W(v)\,.
\]
Si \(\mathcal{B}=(w_1,\dots,w_k)\) est une base orthogonale de \(W\),
la projection s'obtient comme dans le cas de \(\mathbb{R}^n\):
\[
\mathrm{proj}_W(v)=\sum_{j=1}^k\frac{(v|w_j)}{(w_j|w_j)}w_j\,.
\]
Si la base de \(W\) n'est pas orthogonale, on pourra l'orthogonaliser à l'aide
du procédé de Gram-Schmidt.
L'intérêt d'une projection est qu'elle fournit, comme on sait,
la meilleurs approximation d'un vecteur \(v\not\in W\) par un élément de \(W\),
au sens des moindres carrés.
Exemple: Considérons, dans \(C([0,\pi])\), le sous-espace \(\mathbb{P}_2\) des polynômes de degré au plus égal à \(2\). Choisissons \(f\in C([0,\pi])\), par exemple \(f(t)=\sin(t)\), et cherchons l'élément de \(p\in \mathbb{P}_2\) qui approxime le mieux \(f\), au sens des moindres carrés. Pour ce faire, nous allons projeter \(f\) sur \(\mathbb{P}_2\), pour trouver \[ p(t)=\mathrm{proj}_{\mathbb{P}_2}(f)(t)=\lambda_0+\lambda_1t+\lambda_2t^2\,. \]
Remarquons pour commencer que dans \(\mathbb{P}_2\), la base canonique \(\mathcal{B}_{\mathrm{can}}=(e_0,e_1,e_2)\) n'est pas orthogonale, puisque \[\begin{aligned} (e_0|e_1)&=\int_0^\pi 1\cdot t\,dt=\frac{\pi^2}{2}\neq 0\\ (e_0|e_2)&=\int_0^\pi 1\cdot t^2\,dt=\frac{\pi^3}{3}\neq 0\\ (e_1|e_2)&=\int_0^\pi t\cdot t^2\,dt=\frac{\pi^4}{4}\neq 0\,. \end{aligned}\] Appliquons le procédé de Gram-Schmidt pour produire une base orthogonale \(\mathcal{B}=(e_0',e_1',e_2')\). On prend \(e_0'=e_0\), \(e_1'=e_1-\mathrm{proj}_{e_0}(e_1)\), qui donne \[ e_1'(t)=t-\frac{(e_1|e_0)}{(e_0|e_0)}1=t-\frac{\pi^2/2}{\pi}=t-\frac{\pi}{2}\,, \] puis \[\begin{aligned} e_2' &=e_2-\mathrm{proj}_{\mathrm{Vect}\{e_0,e_1\}}(e_2)\\ &=e_2-\mathrm{proj}_{\mathrm{Vect}\{e_0',e_1'\}}(e_2)\\ &=e_2 -\frac{(e_2|e_0')}{(e_0'|e_0')}e_0' -\frac{(e_2|e_1')}{(e_1'|e_1')}e_1'\,, \end{aligned}\] qui donne \[\begin{aligned} e_2'(t) &=t^2 -\frac{(e_2|e_0')}{(e_0'|e_0')}1 -\frac{(e_2|e_1')}{(e_1'|e_1')}(t-\tfrac{\pi}{2})\\ &=t^2 -\frac{\pi^3/3}{\pi}1 -\frac{\pi^4/12}{\pi^3/12}(t-\tfrac{\pi}{2})\\ &=t^2-\pi t+\frac{\pi^2}{6} \end{aligned}\] On sait maintenant que \[ p=\mathrm{proj}_{\mathbb{P}_2}(f)= \frac{(f|e_0')}{(e_0'|e_0')}e_0' +\frac{(f|e_1')}{(e_1'|e_1')}e_1' +\frac{(f|e_2')}{(e_2'|e_2')}e_2'\,, \] qui donne la projection: \[\begin{aligned} p(t) &= \frac{2}{\pi}1 +\frac{0}{\pi^3/12}(t-\frac{\pi}{2}) +\frac{-4+\pi^2/3}{\pi^5/180}(t^2-\pi t+\pi^2/6)\\ &= \frac{-4+\pi^2/3}{\pi^5/180}(t^2-\pi t) + \frac{2}{\pi} +\frac{-4+\pi^2/3}{\pi^3/30}\\ &= -0.0504 +1.3122\dots t -0.4176\dots t^2 \end{aligned}\]Remarque: Dans cet exemple, on a approximé la fonction \(\sin(t)\), sur \([0,\pi]\), à l'aide d'un polynôme de degré \(2\), au sens des moindres carrés: le polynôme \(p(t)\) trouvé est celui qui minimise l'intégrale \[ \int_0^\pi|\sin(t)-p(t)|^2\,dt \] Cette méthode est globale et très différente de la méthode du développement limité de l'analyse, qui est plus locale puisqu'elle a pour but de fournir une approximation précise d'une fonction au voisinage d'un point.