6.3 Déterminant des matrices de taille \(n\times n\)
La définition récursive du déterminant

Pour chaque entier \(n \geqslant 2\), on va définir une application \[ {\det}_n : \mathbb{M}_{n\times n}(\mathbb{R}) \rightarrow \mathbb{R} \] de façon récursive, avec \(\det_2\) donnée par le déterminant défini dans la section précédente. Avant de donner la définition du déterminant, on aurait besoin de la notion suivante.

Si \(A\) est une matrice de taille \(m\times n\) et si \((i,j)\) est une paire d'indice (\(1\leqslant i\leqslant m\), \(1\leqslant j\leqslant n\)), alors la sous-matrice principale associée à la paire \((i,j)\) est la matrice \(A[i|j]\) de taille \((m-1)\times (n-1)\) obtenue à partir de \(A\) en traçant la \(i\)-ème ligne et la \(j\)-ème colonne.

Exemple: Si \( A= \begin{pmatrix} 1&2&3\\ 4&5&6\\ 7&8&9 \end{pmatrix} \), alors \[ A[1|2]= \begin{pmatrix} 4&6\\ 7&9 \end{pmatrix}\,,\quad A[3|1]= \begin{pmatrix} 2&3\\ 5&6 \end{pmatrix}\,,\quad A[2|2]= \begin{pmatrix} 1&3\\ 7&9 \end{pmatrix}\,. \]

Pour chaque entier \(n \geqslant 3\), on définit l'application \[ {\det}_n : \mathbb{M}_{n\times n}(\mathbb{R}) \rightarrow \mathbb{R} \] de façon récursive par \[ {\det}_n(A)= \sum_{k=1}^n(-1)^{k+1} A_{1,k}{\det}_{n-1}\big(A[1|k]\big)\,. \]

Théorème: Pour tout entier \(n \geqslant 3 \) l'application déterminant \( \det_n \) peut se calculer à l'aide de \(\det_{n-1}\) par l'une quelconque des relations suivantes: si \(A\) est de taille \(n\times n\),

Il s'agit d'une conséquence du dernier Théorème dans cette section. En effet, il suffit de démontrer que toutes les expressions du déterminant ci-dessus satisfont aux propriétés du Théorème mentionné.

Remarque: Le théorème précédent nous donne plusieurs façons de calculer explicitement le déterminant de manière récursive, en calculant \(\det_n\) à l'aide de \(\det_{n-1}\), jusqu'à revenir sur \(\det_2\).

Exemple: Considérons la matrice de taille \(3\times 3\) \[ A= \begin{pmatrix} 1&2&-3\\ 4&5&6\\ -7&8&9 \end{pmatrix}\,. \] Pour calculer \(\det_3(A)\), le théorème dit que nous avons pas moins de \(6\) façons équivalentes de procéder. Par exemple, en développant selon la première ligne, \[\begin{aligned} {\det}_3&(A) =\sum_{k=1}^3(-1)^{k+1} A_{1,k}{\det}_2\big(A[1|k]\big)\\ =& (-1)^{1+1} A_{1,1}{\det}_2\big(A[1|1]\big) +(-1)^{2+1} A_{1,2}{\det}_2\big(A[1|2]\big) +(-1)^{3+1} A_{1,3}{\det}_2\big(A[1|3]\big)\\ =& {\det}_2\left(\binom{5}{8},\binom{6}{9}\right) -2{\det}_2\left(\binom{4}{-7},\binom{6}{9}\right) -3{\det}_2\left(\binom{4}{-7},\binom{5}{8}\right)\\ =& (5\cdot 9-8\cdot 6)-2(4\cdot 9-(-7)\cdot 6)-3(4\cdot 8-(-7)\cdot 5)\\ =&-360\,. \end{aligned}\] Ou alors, en développant selon la \(3\)-ème colonne, \[\begin{aligned} {\det}_3&(A) =\sum_{k=1}^3(-1)^{k+3} A_{k,3}{\det}_2\big(A[k|3]\big)\\ =& (-1)^{1+3} A_{1,3}{\det}_2\big(A[1|3]\big) +(-1)^{2+3} A_{2,3}{\det}_2\big(A[2|3]\big) +(-1)^{3+3} A_{3,3}{\det}_2\big(A[3|3]\big)\\ =& (-3){\det}_2\left(\binom{4}{-7},\binom{5}{8}\right) -6{\det}_2\left(\binom{1}{-7},\binom{2}{8}\right) +9{\det}_2\left(\binom{1}{4},\binom{2}{5}\right)\\ =&-3 (4\cdot 8-(-7)\cdot 5)-6(1\cdot 8-(-7)\cdot 2)+9(1\cdot 5-4\cdot 2)\\ =&-360\,. \end{aligned}\]

Une caractérisation du déterminant à partir de ses propriétés algébriques\(^{{\color{red}\star}}\)

On veut étudier des propriétés algébriques des applications \[ \varphi:\mathbb{M}_{n\times n}(\mathbb{R}) \rightarrow \mathbb{R}\,. \] Comme une matrice \(A\) de taille \(n\times n\) peut être décrite de façon équivalente par ses colonnes \(\boldsymbol{a}_1,\dots,\boldsymbol{a}_n\in\mathbb{R}^n\) via \[ A = [\boldsymbol{a}_1\cdots \boldsymbol{a}_n]\,, \] on peut regarder l'application précédente \(\varphi\) de façon équivalente \[ \varphi : \underset{\text{\(n\) facteurs}}{\underbrace{\mathbb{R}^n\times\cdots\times\mathbb{R}^n}} \rightarrow \mathbb{R}\,, \] en posant \[ \varphi(\boldsymbol{a}_1,\dots,\boldsymbol{a}_n) = \varphi(A)\,. \] En particulier, pour des vecteurs \(\boldsymbol{a}_1, \dots, \boldsymbol{a}_n \in \mathbb{R}^n\), le déterminant de \(\boldsymbol{a}_1, \dots, \boldsymbol{a}_n\) est défini par \[ {\det}_n(\boldsymbol{a}_1,\dots,\boldsymbol{a}_n):={\det}_n(A)\,, \] où \(A=[\boldsymbol{a}_1\cdots \boldsymbol{a}_n]\) est la matrice de taille \(n\times n\) définie par les colonnes \(\boldsymbol{a}_1, \dots, \boldsymbol{a}_n \in \mathbb{R}^n\).

Nous allons étudier des propriétés de l'application déterminant \(\det_n \) semblables à celles du cas \(n=2\). Nous verrons après un résultat général qui dit que l'application déterminant est la seule application vérifiant toutes ces propriétés. Commençons par définir les propriétés, qui généralisent celles du cas de matrices de taille \(2\times 2\).

Une application \[\begin{aligned} \varphi : \mathbb{M}_{n\times n}(\mathbb{R}) &\rightarrow \mathbb{R} && \qquad\text{ou de façon}\qquad&\varphi:\overset{n\text{ facteurs}}{\overbrace{\mathbb{R}^n\times\cdots\times\mathbb{R}^n}} & \rightarrow \mathbb{R} \\ A&\mapsto \varphi(A) && \qquad \text{équivalente} \qquad&(\boldsymbol{a}_1,\dots,\boldsymbol{a}_n) & \mapsto \varphi(\boldsymbol{a}_1,\dots,\boldsymbol{a}_n) \end{aligned}\] est dite

Remarque: Un application multilinéaire \(\varphi: \mathbb{R}^n\times\cdots\times\mathbb{R}^n \to\mathbb{R}\) pour \( n = 2\) est précisément une application bilinéaire. On peut montrer, exactement comme on l'a fait dans le cas \(n=2\) (section précédente), qu'une application multilinéaire \(\varphi : \mathbb{R}^n\times\cdots\times\mathbb{R}^n \to\mathbb{R}\) est alternée si et seulement si elle est antisymétrique, i.e. si l'on échange deux vecteurs, on change le signe de la fonction: \[ \varphi(\boldsymbol{a}_1,\dots,\boldsymbol{a}_i,\dots,\boldsymbol{a}_j,\dots,\boldsymbol{a}_n)= -\varphi(\boldsymbol{a}_1,\dots,\boldsymbol{a}_j,\dots,\boldsymbol{a}_i,\dots,\boldsymbol{a}_n)\,, \] ou, de façon équivalente, si \(B \in \mathbb{M}_{n \times n}(\mathbb{R})\) est obtenue de \(A \in \mathbb{M}_{n \times n}(\mathbb{R})\) en transposant deux colonnes, alors \(\varphi(B) = - \varphi(A)\).

Théorème: Pour chaque entier \(n\geqslant 2\), l'application déterminant \[ {\det}_n : \mathbb{M}_{n\times n}(\mathbb{R}) \rightarrow \mathbb{R} \] définie dans la sous-section précédente vérifie la condition (MUL) de multilinéarité, (ALT) d'alternance et (NOR) de normalisation dans la Définition précédente. En général, pour tout \(c \in \mathbb{R}\), il existe une unique application \[ \Phi_{n,c} : \mathbb{M}_{n\times n}(\mathbb{R}) \rightarrow \mathbb{R} \] qui vérifie (MUL), (ALT) et \(\Phi_{n,c}(I_n) = c \). De façon explicite, \(\Phi_{n,c}(A) = c.\det_n(A)\) pour tout \(A \in \mathbb{M}_{n \times n}(\mathbb{R})\).

Le fait que \(\det_n\) satisfait aux propriétés (MUL), \hyperlink{(ALT-n)} {(ALT)} et (NOR) suit d'un argument par récurrence en employant la définition récursive de l'application déterminant. La preuve de l'unicité de l'application \(\Phi_{n,c}\) vérifiant (MUL), (ALT) et \(\Phi_{n,c}(I_n) = c\) est omise. Pour montrer que \(\Phi_{n,c}(A) = c.\det_n(A)\) pour tout \(A \in \mathbb{M}_{n \times n}(\mathbb{R})\), on note que l'application \(A \mapsto c.\det_n(A)\) satisfait aux conditions (MUL), (ALT) et l'image de \(I_n\) est \(c.\det_n(I_n) = c.1 = c\).

Remarque: Le théorème précédent nous dit que l'application déterminant est univoquement caractérisée par les propriétés (MUL), (ALT) et (NOR).

Pour simplifier la notation, désormais on va écrire souvent \(\det(\boldsymbol{a}_1,\dots,\boldsymbol{a}_n)\) au lieu de \(\det_n(\boldsymbol{a}_1,\dots,\boldsymbol{a}_n)\), pour \(\boldsymbol{a}_1,\dots,\boldsymbol{a}_n \in \mathbb{R}^n\) et \(\det(A)\) au lieu de \(\det_n(A)\) pour \(A \in \mathbb{M}_{n \times n}(\mathbb{R})\).

Dans la littérature, le déterminant de \(A\) est parfois noté \(|A|\). Nous utiliserons rarement cette notation, car elle rappelle la valeur absolue, et donne donc l'impression qu'un déterminant doit toujours être une quantité positive, ce qui n'est pas du tout le cas bien-sûr.
Quiz 6.3-1 : Soit \(\varphi\) définie sur les \(n\)-tuples de vecteurs de \(\mathbb{R}^n\). Vrai ou faux?
  1. Si \(\varphi\) est alternée, alors \[ \varphi(\boldsymbol{a}_1,\boldsymbol{a}_2,\dots,\boldsymbol{a}_n) = (-1)^n \varphi(\boldsymbol{a}_n,\dots,\boldsymbol{a}_2,\boldsymbol{a}_1) \]
  2. Si un des \(\boldsymbol{a}_k\) est nul, alors \(\varphi(\boldsymbol{a}_1,\boldsymbol{a}_2,\dots,\boldsymbol{a}_n)=0\)
  3. Si aucun des \(\boldsymbol{a}_k\) n'est nul, alors \(\varphi(\boldsymbol{a}_1,\boldsymbol{a}_2,\dots,\boldsymbol{a}_n)\neq 0\).
  4. Pour tout \(k=1,\dots,n\), \(\varphi(\boldsymbol{e}_k,\dots,\boldsymbol{e}_k)=1\).
  5. Si un des \(\boldsymbol{a}_k=-\boldsymbol{a}_j\), alors \(\varphi(\boldsymbol{a}_1,\dots,\boldsymbol{a}_n)=0\).