8.2 Coordonnées d'un vecteur relatives à une base

Soit \( V \) un espace vectoriel et \(\mathcal{B}=\{v_1,v_2,\dots,v_p\}\) une base. L'avantage d'une base est qu'elle fournit une manière simple et univoque de représenter les vecteurs de \(V\), comme le résultat suivant le montre.

Lemme: Soit \(V\) un espace vectoriel et \(\mathcal{B}=\{v_1,v_2,\dots,v_p\}\subseteq V\) une famille finie de vecteurs. Alors, \(\mathcal{B}\) est une base de \(V\) si et seulement pour tout vecteur \(v \in V\) il existe des uniques scalaires \(\alpha_1,\dots,\alpha_p\in \mathbb{R}\) tels que \[ v=\alpha_1 v_1+\cdots+\alpha_p v_p\,. \]

On suppose que \(\mathcal{B}\) est une base de \(V\). Alors, comme \(\mathcal{B}\) est une famille génératrice de \(V\), étant donné \(v \in V\) il existe des scalaires \(\alpha_1,\dots,\alpha_p\in \mathbb{R}\) tels que \[v=\alpha_1 v_1+\cdots+\alpha_p v_p\,.\] En plus, on affirme que ces scalaires sont uniques. En effet, s'il existe aussi \(\alpha_1',\dots,\alpha_p'\in \mathbb{R}\) tels que \[v=\alpha_1' v_1+\cdots+\alpha_p' v_p\,.\] en soustrayant les dernières expressions, on obtient que \[\mathbf{0}_V=(\alpha_1-\alpha_1') v_1+\cdots+(\alpha_p-\alpha_p') v_p\,.\] Comme \(\mathcal{B}\) est libre, ceci entraîne \[ \alpha_1-\alpha_1'=\cdots=\alpha_p-\alpha_p'=0\,,\] et donc \(\alpha_1=\alpha_1'\), \(\dots\), \(\alpha_p=\alpha_p'\). Réciproquement, on suppose que tout vecteur \(v \in V\) s'écrit comme combinaison linéaire unique des éléments de \(\mathcal{B}\). A fortiori, \(\mathcal{B}\) est une famille génératrice de \(V\), vu que tout \(v \in V\) s'écrit comme combinaison linéaire des éléments de \(\mathcal{B}\). En outre, on affirme que \(\mathcal{B}\) est une famille libre. En effet, on suppose que \[\mathbf{0}_V=\beta_1 v_1+\cdots+\beta_p v_p\,.\] Or, comme le vecteur nul \(\mathbf{0}_V \) doit s'écrire comme combinaison linéaire unique des éléments de \(\mathcal{B}\), et \[\mathbf{0}_V=0. v_1+\cdots+0. v_p\,,\] on conclut que \(\beta_1 = \dots = \beta_p = 0\), comme on voulait démontrer.

Les scalaires \(\alpha_1,\dots,\alpha_p\) définis dans \eqref{eq:coordonnes} sont les coordonnées (ou composantes) de \(v\) relatives à la base \(\mathcal{B}\). En plus, on peut stocker ces nombres dans le vecteur de coordonnées (ou composantes) de \(v\) relatives à la base \(\mathcal{B}\) défini par \[ [v]_{\mathcal{B}}:= \begin{pmatrix} \alpha_1\\ \alpha_2\\ \vdots\\ \alpha_p \end{pmatrix} \in \mathbb{R}^p. \]
Attention: les composantes sont des nombres que l'on peut utiliser pour décrire un vecteur, mais le vecteur existait, avant qu'on ne connaisse ses composantes, avant même qu'on ne parle de base!

D'un côté, un vecteur \(v\in V\) et un objet abstrait. De l'autre, sa représentation dans la base \(\mathcal{B}\), à l'aide des nombres \(\alpha_1,\dots,\alpha_p\), en fait un objet avec lequel on peut faire des calculs.

Remarque: L'ordre dans lequel on stocke les \(\alpha_1,\dots,\alpha_p\) est important. En effet, la \(k\)-ème composante \(\alpha_k\) est associée au \(k\)-ème vecteur de la base, \(v_k\). Il est donc important, quand on introduit une base, de fixer l'ordre de ses vecteurs. Donc pour remarquer que les vecteurs de \(\mathcal{B}\) sont ordonnés, on écrit parfois \[\mathcal{B}=(v_1,\dots,v_p)\,,\] qui est une famille ordonnée, au lieu de \[\mathcal{B}=\{v_1,\dots,v_p\}\,.\]

Insistons sur le fait que le vecteur \([v]_\mathcal{B}\in \mathbb{R}^p\) contient exactement la même information que \(v\) (il représente \(v\)), puisque \(v\) peut toujours être reconstruit exactement à l'aide des composantes de \([v]_\mathcal{B}\): \[\alpha_1 v_1+\cdots+\alpha_p v_p=v\,.\] Ceci implique que finalement, dès qu'on est en possession d'une base dans un sous-espace vectoriel, aussi abstrait soit-il, ses vecteurs peuvent être traités comme des vecteurs de \(\mathbb{R}^p\)!

Exemple: On a vu dans le premier Exemple de la Section (cliquer) que la famille \(\mathcal{B}_{\mathrm{can}}= \{ \boldsymbol{e}_1,\dots,\boldsymbol{e}_n \} \) est bien une base de \(\mathbb{R}^n\), appelée base canonique de \(\mathbb{R}^n\). On voit bien que \[ [\boldsymbol{x}]_{\mathcal{B}_{\mathrm{can}}} = \boldsymbol{x}\,, \] pour tout \(\boldsymbol{x} \in \mathbb{R}^n\).

Exemple: On a vu dans le deuxième Exemple de la Section (cliquer) que la famille \(\mathcal{B}= \{ \boldsymbol{v}_1,\boldsymbol{v}_2 \} \) donnée par \[ \boldsymbol{v}_1= \begin{pmatrix} 2\\ 1 \end{pmatrix} \,,\qquad \boldsymbol{v}_2= \begin{pmatrix} -7\\ 3 \end{pmatrix}\,, \] est une base de \(V = \mathbb{R}^2\). On affirme que \(\mathcal{B}\) nous donne aussi les coordonnées de tout \(\boldsymbol{x} \in \mathbb{R}^2\). En effet, par définition, \[ [\boldsymbol{x}]_{\mathcal{B}} = \begin{pmatrix} \alpha_1\\ \alpha_2 \end{pmatrix} \] si et seulement si \[ \boldsymbol{x}=\alpha_1\boldsymbol{v}_1+\alpha_2\boldsymbol{v}_2\,. \] Si l'on nome \(x_1,x_2\) les composantes de \(\boldsymbol{x}\), alors cette dernière identité devient \[ \begin{pmatrix} x_1\\x_2 \end{pmatrix} = \alpha_1\begin{pmatrix} 2\\ 1 \end{pmatrix} + \alpha_2\begin{pmatrix} -7\\ 3 \end{pmatrix}\,, \] qui n'est autre que \[ (*) \left\{ \begin{array}{ccccc} 2\alpha_1 &-&7 \alpha_2 &=&x_1\,, \\ \alpha_1 &+& 3\alpha_2 &=&x_2\,. \end{array} \right. \] Après \(L_2\leftarrow L_2-\frac12 L_1\), \[ (*) \left\{ \begin{array}{ccccl} 2\alpha_1 &-& 7\alpha_2 &=&x_1\,, \\ &&\frac{13}{2}\alpha_2 &=&x_2-\frac12 x_1\,. \end{array} \right. \] En procédant ''du bas vers le haut'', on trouve \[ \alpha_1=\tfrac{3}{13}x_1+\tfrac{7}{13}x_2\,, \qquad \alpha_2=-\tfrac{1}{13}x_1+\tfrac{2}{13}x_2\,. \] En conséquence, \[ [\boldsymbol{x}]_{\mathcal{B}} = \begin{pmatrix} \tfrac{3}{13}x_1+\tfrac{7}{13}x_2\\ -\tfrac{1}{13}x_1+\tfrac{2}{13}x_2 \end{pmatrix}\,, \] pour tout \(\boldsymbol{x} \in \mathbb{R}^2\).

Exemple: On a montré dans le troisième Exemple de la Section (cliquer) que la famille es \(\mathcal{B}_{\mathrm{can}} = \{e_0,e_1,\dots,e_n \} \subseteq \mathbb{P}_n\) est une base de \(\mathbb{P}_n\), appelée base canonique de \(\mathbb{P}_n\). Avec la base canonique \(\mathcal{B}_{\mathrm{can}}\), l'application \([\cdot]_{\mathcal{B}}\) associe au polynôme \(p\) du dessus le vecteur de \(\mathbb{R}^{n+1}\) défini par \[ [p]_{\mathcal{B}}= \begin{pmatrix} a_0\\ a_1\\ \vdots\\ a_n \end{pmatrix}\,. \] On peut alors manipuler le polynôme \(p\) à l'aide de sa représentation sous la forme \([p]_{\mathcal{B}}\), exactement comme si c'était un vecteur de \(\mathbb{R}^{n+1}\)!

On peut aussi dire plus sur l'application fondamentale:

[Linéarité et inversibilité de l'application ''composantes''] Soit \(\mathcal{B}=\{ v_1,\dots,v_p \}\) une base d'un espace vectoriel \(V\). L'application \([\cdot]_\mathcal{B}\), qui associe à \(v\) le vecteur de \(\mathbb{R}^p\) formé des composantes de \(v\) relatives à la base\(\mathcal{B}\), \[\begin{aligned} [\cdot]_\mathcal{B}:V&\to \mathbb{R}^p \\ v&\mapsto [v]_\mathcal{B} \end{aligned}\] est linéaire et bijective.

Soient \(v,w \in V\) et \( \lambda \in \mathbb{R}\). On suppose que \[ [v]_\mathcal{B} = \begin{pmatrix} \alpha_1 \\ \vdots \\ \alpha_p \end{pmatrix} \qquad \text{ et } \qquad [w]_\mathcal{B} = \begin{pmatrix} \beta_1 \\ \vdots \\ \beta_p \end{pmatrix}, \] i.e. \(v = \alpha_1 v_1 + \dots + \alpha_p v_p\) et \(w = \beta_1 v_1 + \dots + \beta_p v_p\). Alors, \[ v + \lambda w = (\alpha_1 v_1 + \dots + \alpha_p v_p) + \lambda (\beta_1 v_1 + \dots + \beta_p v_p) = (\alpha_1 + \lambda \beta_1) v_1 + \dots + (\alpha_p + \lambda \beta_p) v_p, \] ce qui nous dit que \[ [v + \lambda w]_\mathcal{B} = \begin{pmatrix} \alpha_1 + \lambda \beta_1 \\ \vdots \\ \alpha_p + \lambda \beta_p \end{pmatrix} = \begin{pmatrix} \alpha_1 \\ \vdots \\ \alpha_p \end{pmatrix} + \lambda \begin{pmatrix} \beta_1 \\ \vdots \\ \beta_p \end{pmatrix} = [v]_\mathcal{B} + \lambda [w]_\mathcal{B}. \] En conséquence, l'application \([\cdot]_\mathcal{B}:V \to \mathbb{R}^p\) est linéaire. Pour montrer que cette application linéaire est bijective, on utilise la dernière partie du Théorème dans la Section (cliquer). En effet, on voit bien que l'image de la base \(\mathcal{B} \) par l'application \([\cdot]_\mathcal{B}:V \to \mathbb{R}^p\) est la base canonique \(\mathcal{B}_{\mathrm{can}}\) de \(\mathbb{R}^p\), ce qui nous dit que \([\cdot]_\mathcal{B}:V \to \mathbb{R}^p\) est bijective.