Commençons par introduire la généralisation abstraite de la notion de vecteur rencontrée dans les chapitres précédents:
Donc un espace vectoriel est simplement un ensemble d'objets abstraits appelés vecteurs, dans lequel un ''\(+\)'' permet d'additionner ces vecteurs, et dans lequel on peut multiplier les vecteurs par des scalaires.
\(\bigstar\) Cela peut prendre du temps de s'habituer à ce niveau d'abstraction, et d'imaginer que ce genre de structure existe ailleurs que dans le cadre des ''flèches de \(\mathbb{R}^n\)''. C'est surtout à la fin du cours qu'on se rendra compte de l'utilité de cette généralisation, lorsqu'on pourra résoudre des problèmes concrets en appliquant des méthodes algébriques/géométriques (par exemple: la méthode des moindres carrés) dans un espace vectoriel abstrait.
Voyons quelques-uns des principaux exemples d'espaces vectoriels.
Le premier exemple d'espace vectoriel que nous avons rencontré est bien-sûr celui où \(V\) est formé de tous les vecteurs de \(\mathbb{R}^n\). Dans ce cas l'addition et la multiplication par un scalaire avaient été définis de façon naturelle, à savoir composante par composante. C'est souvent le même procédé qui est utilisé dans des cas plus généraux.
Dans ce premier exemple, nous allons voir comment des ensembles de
fonctions peuvent aussi être vus comme des espaces vectoriels.
Soit \(I\subset\mathbb{R}\) un intervalle (borné ou non, \(I\) peut même être la
droite toute entière), et
soit \(V\) l'ensemble de toutes les fonctions définies sur
\(I\), à valeurs réelles:
\[
V=\bigl\{\text{fonctions }f:I\to\mathbb{R}\bigr\}\,.
\]
Remarque: Une fonction \(f\in V\) est définie une fois que l'on a défini la valeur du réel \(f(t)\) pour chaque \(t\in I\). Ainsi, deux fonctions \(f,g\in V\) sont égales, ce qu'on écrit \(f=g\), si et seulement si elles prennent la même valeur en tout point, c'est-à-dire si \[ f(t)=g(t)\,,\quad \forall t\in I\,. \]
Nous devons maintenant vérifier que \(V\) est bien un espace vectoriel. Pour cela, nous aurons besoin de la fonction nulle \(0\in V\), comme étant la fonction qui vaut zéro en tout point, \[ 0(t):= 0\,,\quad\forall t\in I\,, \] et l'opposé d'une fonction \(f\in V\), notée \(-f\in V\), est la fonction \[ (-f)(t):= -f(t)\,,\quad\forall t\in I\,. \]
Théorème: Muni de l'addition et de la multiplication par un scalaire (définies ci-dessus), \(V\) est un espace vectoriel.
On vérifie une à une chacune des propriétés qui définissent un espace vectoriel. (On remarquera qu'à chaque fois, c'est une propriété des réels qui fait le travail!)
\(\bigstar\) La preuve est étonnamment longue, mais ne présente aucune subtilité! (La seule difficulté, peut-être, est de comprendre pourquoi il est nécessaire de faire tout ça!)
Les polynômes sont des fonctions très particulières mais fournissent un cas
important d'espace vectoriel, jouant un rôle important
dans de nombreuses applications.
Soit \(n\geqslant 1\) un entier, et soit \(\mathbb{P}_n\)
l'ensemble de tous les polynômes réels de degré au plus égal à \(n\).
Cela signifie qu'un élément \(p\in \mathbb{P}_n\) est un polynôme de la forme
\[
p(t)=a_0+a_1t+a_2t^2+\dots+a_nt^n\,,\qquad t\in \mathbb{R}\,,
\]
où les coefficients \(a_0,a_1,\dots,a_n\) sont des réels.
On additionne et multiplie (par des scalaires) comme on l'a fait pour les
fonctions.
Théorème: Muni de l'addition et de la multiplication par un scalaire, \(\mathbb{P}_n\) est un espace vectoriel.
(voir exercices)
Considérons l'ensemble des matrices \(m\times n\) à coefficients réels, noté \(\mathbb{M}_{m\times n}(\mathbb{R})\). Si une matrice \(A\in \mathbb{M}_{m\times n}(\mathbb{R})\) a des coefficients \(a_{ij}\) (\(i=1,\dots,m\), \(j=1,\dots,n\)), on écrira simplement \[ A=(a_{ij})_{\substack{i=1,\dots,m\\ j=1,\dots,n}} \] On rappelle les définitions d'addition et de multiplication par un scalaire, introduites précédemment:
Théorème: Muni de l'addition et de la multiplication par un scalaire (définies ci-dessus), \(\mathbb{M}_{m\times n}(\mathbb{R})\) est un espace vectoriel.
En exercice! L'élément nul ''\(0\)'' est la matrice \(m\times n\) dont tous les éléments sont égaux à zéro, et l'opposé d'une matrice \(A\) est la matrice dont tous les éléments sont les opposés de ceux de \(A\).
La structure d'espace vectoriel apparaît dans de nombreuses situations.
Exemple: Soit \(V\) l'ensemble des suites de réels, dans lequel une suite est notée simplement \(\boldsymbol{x}=(x_n)_{n\geqslant 0}\). En définissant une multiplication par un scalaire \(\lambda\in\mathbb{R}\), \[ \lambda \boldsymbol{x}:= (\lambda x_n)_{n\geqslant 0}\,, \] et l'addition \[ \boldsymbol{x}+\boldsymbol{y}:= (x_n+y_n)_{n\geqslant 0}\,, \] on peut vérifier (en exercice) que \(V\) a une structure d'espace vectoriel.