Dans cette section, nous généralisons la notion d'application linéaire, au cas d'une application d'un espace vectoriel \(V\) (de départ) dans un espace vectoriel \(V'\) (d'arrivée):
Rappelons que pour \(v\in V\),
l'élément \(v'=T(v)\in V'\) est appelé l'image de
\(v\), et \(v\) est une préimage de \(v'\).
Étant des espaces vectoriels, \(V\) et \(V'\) possèdent chacun
un zéro; on les notera \(0\in V\) et \(0'\in V'\) pour les distinguer. Par
contre, l'addition dans ces espaces sera toujours notée ''\(+\)''
pour ne pas trop allourdir les notations
.
Rappelons rapidement, dans ce cadre général, quelques notions élémentaires de la théorie des fonctions \(T:V\to V'\). (Si nécessaire, on pourra aller voir ici, pour d'autres exemples à propos de ces notions.)
Remarquons que:
Généralisons maintenant la notion d'application linéaire, que nous avions précédemment définie seulement dans le cas \(T:\mathbb{R}^n\to\mathbb{R}^m\):
Remarque: On peut mettre les deux conditions de la définition en une seule: une application \(T:V\to V'\) est linéaire si pour tous \(v_1,v_2\in V\), et pour tous scalaires \(\alpha,\beta,\in \mathbb{R}\), \[ T(\alpha v_1+\beta v_2)=\alpha T(v_1)+\beta T(v_2)\,. \]
Nous avons déjà vu plusieurs exemples d'applications linéaires dans le cas \(T:\mathbb{R}^n\to\mathbb{R}^m\). Rappelons le plus important:
Exemple: Si \(A\) est une matrice réelle \(m\times n\), alors l'application \[\begin{aligned} T:\mathbb{R}^n&\to\mathbb{R}^m \\ \boldsymbol{x}&\mapsto T(\boldsymbol{x}):= A\boldsymbol{x} \end{aligned}\] est linéaire.
Exemple: Soit \(V\) l'espace des fonctions \(f:[a,b]\to \mathbb{R}\), soit \(V'=\mathbb{R}^2\), et soit \(T:V\to V'\) définie ainsi: pour tout \(f\in V\), \[ T(f):= \begin{pmatrix} f(a)\\ f(b) \end{pmatrix}\,. \] Alors \(T\) est linéaire. En effet, si \(f,g\in V\), \(\alpha,\beta\in\mathbb{R}\), alors \[\begin{aligned} T(\alpha f+\beta g) &= \begin{pmatrix} (\alpha f+\beta g)(a)\\ (\alpha f+\beta g)(b) \end{pmatrix}\\ &= \begin{pmatrix} \alpha f(a)+\beta g(a)\\ \alpha f(b)+\beta g(b) \end{pmatrix}\\ &= \alpha \begin{pmatrix} f(a)\\ f(b)\end{pmatrix}+ \beta \begin{pmatrix} g(a)\\ g(b)\end{pmatrix}\\ &= \alpha T(f)+\beta T(g)\,. \end{aligned}\]
Exemple: Soit \(V=C([a,b])\) l'espace des fonctions (à valeurs réelles) continues sur \([a,b]\), et soit \(V'=\mathbb{R}^2\). Soit \(c\in ]a,b[\) un point fixé et soit \(T:V\to V'\) définie ainsi: pour tout \(f\in V\), \[ T(f):= \begin{pmatrix} \displaystyle \int_a^c f(t)\,dt\\ \displaystyle \int_c^b f(t)\,dt \end{pmatrix}\,. \] Alors \(T\) est linéaire et surjective. (voir exercices)
On peut maintenant en dire plus sur l'application fondamentale:
Lemme: Soit \(\mathcal{B}=(v_1,\dots,v_p)\) une base d'un sous-espace vectoriel \(W\). L'application \([\cdot]_\mathcal{B}\), qui associe à \(w\) le vecteur de \(\mathbb{R}^p\) formé des composantes de \(w\) relativement à \(\mathcal{B}\), \[\begin{aligned} [\cdot]_\mathcal{B}:W&\to \mathbb{R}^p\\ w&\mapsto [w]_\mathcal{B} \end{aligned}\] est linéaire et bijective.
En exercice.
Lorsqu'une application \(T:V\to V'\) est linéaire, plusieurs choses peuvent être
dites à son sujet.
Par exemple, la linéarité implique que le zéro est toujours
envoyé sur le zéro:
\[
T(0)=0'\,.
\]
En effet, en écrivant \(0=0+0\) et en utilisant la linéarité,
\[
T(0)=T(0+0)=T(0)+T(0)=(1+1)T(0)=2T(0)\,,
\]
ce qui implique bien que \(T(0)=0'\).
Si \(0\) est toujours envoyé sur \(0'\), il se pourrait aussi que d'autres
éléments de \(V\) soient aussi envoyés sur \(0'\):
On a vu plus haut que le noyau contient toujours le zéro de \(V\). On peut en dire un peu plus:
Lemme: Une application linéaire \(T:V\to V'\) est injective si et seulement si son noyau ne contient que le zéro: \(\mathrm{Ker}(T)=\{0\}\).
Supposons d'abord que \(T\) est injective.
Considérons un \(v\in \mathrm{Ker}(T)\), c'est-à-dire tel que
\(T(v)=0'\). Comme on sait que \(T(0)=0'\), on a donc
\(T(v)=T(0)\), et l'injectivité implique que \(v=0\). Donc
\(\mathrm{Ker}(T)=\{0\}\).
Supposons maintenant que \(\mathrm{Ker}(T)=\{0\}\).
Considérons \(v_1,v_2\in V\) tels que \(T(v_1)=T(v_2)\). Par linéarité, ceci
implique \(T(v_1-v_2)=0'\), et donc \(v_1-v_2\in \mathrm{Ker}(T)\), et donc
\(v_1-v_2=0\), ce qui implique \(v_1=v_2\). Donc \(T\) est injective.
Exemple: Soit \(T:V\to \mathbb{R}^2\) l'application linéaire définie plus haut; pour \(f:[a,b]\to\mathbb{R}\), \[ T(f):= \begin{pmatrix} f(a)\\ f(b) \end{pmatrix}\,. \] Le noyau de cette application est formé de toutes les fonctions \(f\) pour lesquelles \[ T(f)=\boldsymbol{0}= \begin{pmatrix} 0\\ 0 \end{pmatrix}\,, \] c'est-à-dire \[ \mathrm{Ker}(T)=\{f:[a,b]\to \mathbb{R}\,:\,f(a)=f(b)=0\}\,. \] Ce noyau contient en particulier la fonction identiquement nulle bien-sûr, mais aussi une infinité de fonctions non-nulles:
Donc \(T\) n'est pas injective.Finalement, notons que le noyau et l'image sont des sous-ensembles stables de \(V\) et \(V'\), respectivement:
Lemme: Si \(T:V\to V'\) est linéaire, alors
Commençons par le noyau:
Lemme: Si \(T:V\to V'\) est linéaire et bijective, alors sa réciproque \(T^{-1}:V'\to V\) est aussi linéaire.
(Voir exercices.)
Théorème: Soit \(T:V\to V'\) une application linéaire. Alors \(T\) est bijective si et seulement si l'image d'une base \(\mathcal{B}=(v_1,\dots,v_p)\) de \(V\), notée \(T(\mathcal{B})=(T(v_1),\dots,T(v_p))\), est une base de \(V'\).
Supposons que \(T\) est bijective, et considérons une base de \(V\), \(\mathcal{B}=(v_1,\dots,v_p)\). Montrons que \(T(\mathcal{B}):= (T(v_1),\dots,T(v_p))\) est une base.