C'est à l'aide de la notion de base que l'on définit naturellement
celle de dimension.
Commençons par voir une première conséquence de l'existence d'une base:
Lemme: Si \(\mathcal{B}= \{ v_1,\dots,v_p \} \) est une base d'un espace vectoriel \(V\), et si \(\mathcal{F} \subseteq V\) est une famille contenant plus de vecteurs que \(\mathcal{B}\) (c'est-à-dire plus de \(p\) vecteurs), alors \(\mathcal{F}\) est liée.
Le résultat va suivre de ce que nous avons vu dans un chapitre précédent:
dans \(\mathbb{R}^p\), toute famille de plus de \(p\) vecteurs est liée.
Écrivons \(\mathcal{F}=\{w_1,\dots,w_k\}\subseteq W\), avec \(k\gt p\).
Considérons la relation linéaire
\[(*)_1:\qquad \alpha_1w_1+\dots+\alpha_kw_k=\mathbf{0}_{V}\,.\]
Appliquons \([\cdot]_\mathcal{B}\) des deux côtés de cette relation. Par linéarité, et
comme \([\mathbf{0}_V]_\mathcal{B}=\boldsymbol{0}\), on a
\[(*)_2:\qquad \alpha_1[w_1]_\mathcal{B}+\dots+\alpha_k[w_k]_\mathcal{B}=\boldsymbol{0}\,.\]
Comme \(\{[w_1]_\mathcal{B},\dots,[w_k]_\mathcal{B}\}\) est une famille de
vecteurs de \(\mathbb{R}^p\), on sait qu'elle est liée puisque \(k\gt p\).
On conclut qu'il existe une famille de coefficients \(\alpha_1,\dots,\alpha_k\),
non tous nuls, tels que \((*)_2\) soit vérifiée.
Puisque \([\cdot]_\mathcal{B}\) est linéaire et
inversible, sa réciproque \([\cdot]_\mathcal{B}^{-1}\) est aussi linéaire
(voir lemme de la section précédente).
Donc en appliquant \([\cdot]_\mathcal{B}^{-1}\) des deux côtés de \((*)_2\), on
récupère \((*)_1\), qui est donc vérifiée pour les mêmes coefficients \(\alpha_j\),
ce qui implique que \(\mathcal{F}\) est liée.
Ainsi, si \(\mathcal{B}\) est une base de \(V\), on sait qu'une famille libre dans \(V\) ne peut pas contenir plus de vecteurs que le nombre de vecteurs contenus dans \(\mathcal{B}\). Ceci implique aussi:
Théorème: Toutes les bases d'un même espace vectoriel \(V\) contiennent le même nombre d'éléments.
Soient \(\mathcal{B}= \{ v_1,\dots,v_p \} \) et \(\mathcal{B}'=\{ w_1,\dots,w_q \} \) deux bases de \(V\). Si on suppose que \(p\gt q\), alors le lemme précédent implique que \(\mathcal{B}\) est liée, ce qui n'est pas possible puisque \(\mathcal{B}\) est une base; on conclut que \(p\leqslant q\). De même, si on suppose que \(q\gt p\), alors le lemme précédent implique que \(\mathcal{B}'\) est liée, ce qui n'est pas possible puisque \(\mathcal{B}'\) est une base; on conclut que \(q\leqslant p\). On a donc \(p=q\).
Puisque toutes les bases d'un espace ont le même nombre d'éléments, ce nombre décrit une propriété intrinsèque de cet espace:
Exemple: Dans \(\mathbb{R}^3\), considérons le sous-espace \(W=\mathrm{Vect}\{\boldsymbol{v}_1,\boldsymbol{v}_2\}\), où \[ \boldsymbol{v}_1= \begin{pmatrix} 4\\ 1\\ -3 \end{pmatrix}\,,\qquad \boldsymbol{v}_2= \begin{pmatrix} 0\\ 3\\ 2 \end{pmatrix}\,. \] Puisque \(\boldsymbol{v}_1\) et \(\boldsymbol{v}_2\) ne sont pas colinéaires, et qu'ils engendrent \(W\), on en déduit que \(\mathcal{B}=\{ \boldsymbol{v}_1,\boldsymbol{v}_2 \}\) est une base de \(W\). Ainsi, \(\dim(W)=2\), c'est un plan.
Exemple: Considérons \(V=\mathbb{R}^n\). Comme la base canonique \( \{ \boldsymbol{e}_1,\dots,\boldsymbol{e}_n \} \) est formée de \(n\) vecteurs, n'importe quelle autre base doit aussi avoir \(n\) vecteurs, et donc \[\dim(\mathbb{R}^n)=n\,.\]
Exemple: Considérons \(V=\mathbb{P}_n\). Comme base la base canonique \(\{ e_0,\dots,e_n \} \) est formée de \(n+1\) vecteurs, n'importe quelle autre base doit aussi avoir \(n+1\) vecteurs, et donc \[\dim(\mathbb{P}_n)=n+1\,.\]
Remarque: Il existe des espaces vectoriels, comme par exemple l'espace de toutes les fonctions \(f:[a,b]\to \mathbb{R}\), qui ne sont pas de dimension finie: il n'existe aucune famille finie \((f_1,\dots,f_n)\) telle que toute fonction puisse s'écrire comme combinaison linéaire de \(f_1,\dots,f_n\). On dit que cet espace est de dimension infinie.
Supposons que \(\mathcal{F} \subseteq V\), \(\mathcal{F}= \{ v_1,\dots,v_n \} \), est libre. Prenons un \(v\in V\), et définissons \(\mathcal{F}':= \mathcal{F}\cup\{v\}\). Le Théorème précédent nous dit que \(\mathcal{F}'\) est liée, car elle contient \(n+1\) vecteur. Alors, il existe \(\lambda_1,\dots,\lambda_{n+1}\), pas tous nuls, tels que \[ \lambda_1v_1+\cdots+\lambda_nv_n+\lambda_{n+1}v=0\,. \] Si \(\lambda_{n+1}=0\), cela signifie qu'au moins un des \(\lambda_1,\dots,\lambda_n\) est non-nul, et que \[ \lambda_1v_1+\cdots+\lambda_nv_n=0\,, \] et donc que \(\mathcal{F}\) est liée, une contradiction. On en conclut que \(\lambda_{n+1}\neq 0\), ce qui permet d'écrire \(w\) comme combinaison linéaire des éléments de \(\mathcal{F}\): \[ v=-\frac{\lambda_1}{\lambda_{n+1}}v_1-\cdots-\frac{\lambda_n}{\lambda_{n+1}}v_n\,. \] Donc \(\mathcal{F}\) est bien une base de \(V\).
Théorème: [Complétion d'une famille libre en une base] Soit \(V\) un espace vectoriel de dimension finie \(n\), \[\mathcal{F}=\{v_1,\dots,v_r\} \subseteq V\] une famille libre et soit \(v_{r+1} \notin \mathrm{Vect}\mathcal{F}\). Alors, \( \mathcal{F} \cup \{ v_{r+1} \} =\{v_1,\dots,v_{r+1}\}\) est libre. En conséquence, étant donnée une famille libre \( \mathcal{F}=\{v_1,\dots,v_r\} \), alors \(r \leqslant n\) et il existe des vecteurs \(v_{r+1},\dots,v_{n}\) de \(V\) tels que \[\mathcal{B}= \{v_1,\dots,v_r,v_{r+1},\dots,v_n \} \] est une base de \(V\).
Pour montrer la première partie, on procède pas l'absurde. On suppose qu'il existe \(\alpha_1, \dots, \alpha_{r+1} \in \mathbb{R}\) tels que au moins est un non nul et \[ v_1 + \dots + \alpha_{r+1} v_{r+1} = \mathbf{0}_{V}. \] On affirme que \(\alpha_{r+1} \neq 0\) dans ce cas. En effet, si \(\alpha_{r+1} = 0\), alors \begin{Refe} \eqref{eq:cl_ex_s8_ext_fam_libre} \end{Refe} (EQ) devient \[ \alpha_1 v_1 + \dots + \alpha_r v_r = \mathbf{0}_{V}, \] ce qui implique \(\alpha_1 = \dots = \alpha_r = 0\), vu que \(\mathcal{F}\) est libre, mais cela est absurde, car on avait supposé qu'au moins un coefficient dans \begin{Refe}\eqref{eq:cl_ex_s8_ext_fam_libre}\end{Refe} (EQ) est non nul. En conséquence, \(\alpha_{r+1} \neq 0\) et \begin{Refe} \eqref{eq:cl_ex_s8_ext_fam_libre} \end{Refe} (EQ) nous dit que \[ v_{r+1} = \frac{\alpha_1}{\alpha_{r+1}} v_1 + \dots + \frac{\alpha_r}{\alpha_{r+1}} v_r \in \mathrm{Vect}\mathcal{F}, \] ce qui est absurde, car on avait supposé que \(v_{r+1} \notin \mathrm{Vect}\mathcal{F}\). En conséquence, \( \{ v_{r+1} \} \cup \mathcal{F} = \{ v_{1}, \dots, v_{r+1} \} \) est libre. On montre la dernière partie du théorème. Si \(r=n\), alors \(\mathcal{F}\) est une base et on pose donc \(\mathcal{B}= \mathcal{F}\). On suppose désormais \(r\lt n\) et en conséquence \(\mathcal{F}\) n'engendre pas \(V\). Alors, il existe au moins un vecteur \(v_{r+1}\in V\) qui ne peut pas s'écrire comme combinaison linéaire d'éléments de \(\mathcal{F}\). La première partie nous dit que \[ \{ v_1,\dots,v_r,v_{r+1} \} \] est libre. Si cette famille n'engendre toujours pas \(V\), on recommence: il doit exister un vecteur \(v_{r+2}\in V\) qui ne peut pas s'écrire comme combinaison linéaire de ses éléments, et donc \[\{v_1,\dots,v_r,v_{r+1},v_{r+2}\} \] est libre, d'après la première partie du théorème. Comme la dimension de \(V\) est finie et vaut \(n\), ce procédé continue jusqu'à obtenir une famille libre qui contient exactement \(n\) éléments, et qui forme donc une base de \(V\).
Exemple:
Considérons la famille libre
\(\mathcal{F}=\{\boldsymbol{v}_1,\boldsymbol{v}_2\}\subseteq \mathbb{R}^3\), où
\[
\boldsymbol{v}_1= \begin{pmatrix} 4\\ 0\\ -3 \end{pmatrix}\,,\qquad
\boldsymbol{v}_2= \begin{pmatrix} 0\\ 3\\ 2 \end{pmatrix}\,.
\]
Clairement, \(\mathcal{F}\) est libre, mais elle n'engendre pas \(\mathbb{R}^3\) (car \(2\lt
3\)!).
Par le théorème ci-dessus, on peut compléter \(\mathcal{F}\) en une base de \(\mathbb{R}^3\),
en lui rajoutant un vecteur qui n'est pas une combinaison linéaire de
\(\boldsymbol{v}_1\) et \(\boldsymbol{v}_2\). Comment choisir ce vecteur?
Remarquons que toute combinaison linéaire de \(\boldsymbol{v}_1\) et \(\boldsymbol{v}_2\)
est de la forme
\[
\alpha_1
\begin{pmatrix} 4\\ 0\\ -3 \end{pmatrix}
+
\alpha_2
\begin{pmatrix} 0\\ 3\\ 2 \end{pmatrix}
=
\begin{pmatrix} 4\alpha_1\\ 3\alpha_2\\ -3\alpha_1+2\alpha_2 \end{pmatrix}\,.
\]
On peut donc prendre n'importe quel vecteur qui n'est pas de cette forme.
Par exemple
\[
\boldsymbol{v}_3=
\begin{pmatrix} 4\\ 3\\ 0 \end{pmatrix}\,.
\]
Maintenant, \( \{ \boldsymbol{v}_1,\boldsymbol{v}_2,\boldsymbol{v}_3 \} \) est une base de \(\mathbb{R}^3\).