Dans toute cette section, \(V\) est un espace vectoriel fixé.
Noter que l'on peut appliquer la définition ci-dessus aussi à tout sous-espace vectoriel \(W\) d'un espace vectoriel \(V\), et parler aussi d'une base d'un sous-espace vectoriel \(W\).
Exemple: Considérons \(V=\mathbb{R}^n\). Rappelons que l'on peut écrire tout vecteur \(\boldsymbol{x}\in \mathbb{R}^n\) comme \[ \boldsymbol{x} = x_1 \boldsymbol{e}_1 +x_2 \boldsymbol{e}_2 \dots+ x_n \boldsymbol{e}_n\,, \] où \[ \boldsymbol{e}_1:= \begin{pmatrix} 1\\ 0\\ \vdots\\ 0 \end{pmatrix} \,,\quad \boldsymbol{e}_2:= \begin{pmatrix} 0\\ 1\\ \vdots\\ 0 \end{pmatrix} \,,\quad \dots \quad \boldsymbol{e}_n:= \begin{pmatrix} 0\\ 0\\ \vdots\\ 1 \end{pmatrix} \,. \] Comme cette famille de vecteurs est libre , on conclut que \(\mathcal{B}_{\mathrm{can}}= \{ \boldsymbol{e}_1,\dots,\boldsymbol{e}_n \} \) est bien une base, la base canonique de \(\mathbb{R}^n\).
Exemple:
Dans \(V=\mathbb{R}^2\), considérons les vecteurs
\[ \boldsymbol{v}_1= \begin{pmatrix} 2\\ 1 \end{pmatrix}
\,,\qquad
\boldsymbol{v}_2= \begin{pmatrix} -7\\ 3 \end{pmatrix}\,,
\]
et montrons que \(\mathcal{B}=\{ \boldsymbol{v}_1,\boldsymbol{v}_2 \} \) est une base de \(V\).
D'abord,
on voit que \(\boldsymbol{v}_1\) et \(\boldsymbol{v}_2\) ne sont pas colinéaires,
et donc que \(\mathcal{B}\) est libre.
Ensuite, pour montrer qu'elle engendre bien tout \(V\), fixons un
\(\boldsymbol{x}\in V\) quelconque, et montrons qu'il peut s'écrire comme combinaison
linéaire de \(\boldsymbol{v}_1\) et \(\boldsymbol{v}_2\), c'est-à-dire qu'il existe
des scalaires \(\lambda_1\) et \(\lambda_2\) tels que
\[ \boldsymbol{x}=\lambda_1\boldsymbol{v}_1+\lambda_2\boldsymbol{v}_2\,.
\]
Si on nome \(x_1,x_2\) les composantes de \(\boldsymbol{x}\), alors
cette dernière devient
\[
\begin{pmatrix} x_1\\x_2 \end{pmatrix}
=
\lambda_1\begin{pmatrix} 2\\ 1 \end{pmatrix}
+
\lambda_2\begin{pmatrix} -7\\ 3 \end{pmatrix}\,,
\]
qui n'est autre que
\[
(*)
\left\{
\begin{array}{ccccc}
2\lambda_1 &-&7 \lambda_2 &=&x_1\,,
\\
\lambda_1 &+& 3\lambda_2 &=&x_2\,.
\end{array}
\right.
\]
Après \(L_2\leftarrow L_2-\frac12 L_1\),
\[
(*)
\left\{
\begin{array}{ccccl}
2\lambda_1 &-& 7\lambda_2 &=&x_1\,,
\\
&&\frac{13}{2}\lambda_2 &=&x_2-\frac12 x_1\,.
\end{array}
\right.
\]
En procédant ''du bas vers le haut'', on trouve
\[
\lambda_1=\tfrac{3}{13}x_1+\tfrac{7}{13}x_2\,,
\qquad
\lambda_2=-\tfrac{1}{13}x_1+\tfrac{2}{13}x_2\,.
\]
Ceci montre que \(\boldsymbol{x}\) peut effectivement s'écrire comme combinaison
linéaire de \(\boldsymbol{v}_1\) et \(\boldsymbol{v}_2\).
Comme ceci vaut pour tout \(\boldsymbol{x}\in V\), \(\mathcal{B}\) engendre bien \(V\).
On a donc montré que \(\mathcal{B}\) est une base de \(V\).
Exemple: Considérons \(V=\mathbb{P}_n\), l'ensemble des polynômes à coefficients réels, de degré au plus égal à \(n\). Rappelons que tout élément \(p\in \mathbb{P}_n\) est de la forme \[ p(t)=a_0+a_1t+a_2t^2+\dots+a_nt^n\,,\qquad t\in \mathbb{R}\,. \] Considérons les polynômes \(e_0,e_1,\dots,e_n\in \mathbb{P}_n\) définis ainsi: pour tout \(t\in \mathbb{R}\), \[\begin{aligned} e_0(t)&:= 1\,,\\ e_1(t)&:= t\,,\\ e_2(t)&:= t^2\,,\\ \vdots&\\ e_n(t)&:= t^n\,. \end{aligned}\] Pour le polynôme écrit au-dessus, \[ p=a_0e_0+a_1e_1+\cdots+a_ne_n\,. \] Donc la famille \(\{e_0,e_1,\dots,e_p\}\) engendre \(\mathbb{P}_n\). Mais on a aussi montré dans une section précédente que cette famille est libre. Ainsi, la famille \(\mathcal{B}_{\mathrm{can}}= \{ e_0,e_1,\dots,e_n \} \) forme une base, appelée base canonique de \(\mathbb{P}_n\).
Exemple:
Considérons, dans \(V=\mathbb{P}_2\), la famille \(\mathcal{B}=(q_1,q_2,q_2)\), où
\[
q_1(t)=3\,,\qquad q_2(t)=1-2t\,,\qquad q_3(t)=t^2+t\,.
\]
Montrons que \(\mathcal{B}\) est une base de \(V\).
Pour commencer, montrons que \(\mathcal{B}\) est libre, en posant
\[ \lambda_1q_1+\lambda_2q_2+\lambda_3q_3=0\,,
\]
qui signifie, après avoir regroupé les termes,
\[
(3\lambda_1+\lambda_2)+(-2\lambda_2+\lambda_3)t
+\lambda_3 t^2=0\,,\qquad \forall t\in \mathbb{R}\,.
\]
On sait qu'un polynôme s'annule en tout \(t\in\mathbb{R}\) si et seulement si tous ses
coefficients sont nuls. On en déduit que \(\lambda_3=0\), puis que
\(\lambda_2=\frac12\lambda_3=0\), puis que \(\lambda_1=-\frac13 \lambda_2=0\). Ceci
montre que \(\mathcal{B}\) est libre.
Montrons ensuite que \(\mathcal{B}\) engendre \(\mathbb{P}_2\).
Pour ce faire, fixons un \(p\in \mathbb{P}_2\) quelconque, et montrons qu'on peut
trouver des scalaires \(\alpha_1,\alpha_2\) tels que
\[
p=\alpha_1q_1+\alpha_2q_2+\alpha_3q_3\,.
\]
Si \(p(t)=a+bt+ct^2\), cela signifie que
\[ a+bt+ct^2
=\alpha_13+\alpha_2(1-2t)+\alpha_3(t^2+t)\,,\qquad \forall t\in \mathbb{R}\,,
\]
qui devient, après avoir regroupé les termes,
\[(3\alpha_1+\alpha_2-a)+(-2\alpha_2+\alpha_3-b)t+(\alpha_3-c)t^2=0\,,\qquad
\forall t\in \mathbb{R}\,.\]
On voit donc que \(\alpha_1,\alpha_2,\alpha_3\) doivent satisfaire
\[
(*)
\left\{
\begin{array}{ccccccc}
3\alpha_1 &+& \alpha_2 && &=&a\,, \\
&-& 2\alpha_2 &+& \alpha_3 &=&b\,, \\
&& && \alpha_3 &=&c\,.
\end{array}
\right.
\]
On trouve
\[ \alpha_3=c\,,\qquad \alpha_2=\tfrac12(c-b)\,,\qquad
\alpha_3=\tfrac13 a+\tfrac16 b -\tfrac16 c\,.
\]
Ceci montre que \(\mathcal{B}\) engendre \(\mathbb{P}_2\).
Donc on a bien montré que \(\mathcal{B}\) est une base de \(\mathbb{P}_2\).
Supposons qu'un sous-espace \(W\subseteq V\) soit engendré par une famille: \[ W=\mathrm{Vect}\{v_1,\dots,v_p\}\,. \] Par définition, tout vecteur \(w\in W\) peut s'écrire comme combinaison linéaire des \(v_1,\dots,v_p\), mais cela ne signifie pas que ces vecteurs forment une base pour \(W\): il se peut que certains ne soient pas nécessaires dans la description de \(W\); en d'autres termes, cette famille peut contenir ''trop'' de vecteurs, certains de ses vecteurs peuvent être superflus.
Théorème:[Extraction d'une base à partir d'une famille génératrice] Soit \(V\) un espace vectoriel, et soit \[\mathcal{F}=\{v_1,\dots,v_r\}\] une famille génératrice de \(V\). Si un des vecteurs de \(\mathcal{F}\), disons \(v_j\), peut s'écrire comme combinaison linéaire des autres \(v_k\) (\(k\neq j\)), alors en retirant \(v_j\), la famille \[\mathcal{F}\setminus\{v_j\} =\{v_1,\dots,v_{j-1},v_{j+1},\dots,v_r\}\] engendre toujours \(W\). En conséquence, étant donnée une famille génératrice \(\mathcal{F}=\{v_1,\dots,v_r\}\) de \(V\), il existe une base \(\mathcal{B} \subseteq \mathcal{F}\).
Puisque \(\mathcal{F}\) engendre \(V\), tout vecteur \(v\in V\) peut s'écrire \[v=a_1 v_1+\dots+a_r v_r\,.\] Si \(v_j=\sum_{i\neq j}\alpha_i v_i\), alors \[\begin{aligned} v=\sum_{i=1}^r a_i v_i =\Bigl(\sum_{\substack{i=1\\ i\neq j}}^ra_i v_i\Bigr) + a_j v_j &=\sum_{\substack{i=1\\ i\neq j}}^r a_i v_i + a_j \sum_{\substack{i=1\\ i\neq j}}^r\alpha_i v_i \\ &=\sum_{\substack{i=1\\ i\neq j}}^r(a_i + a_j \alpha_i)v_i\,, \end{aligned}\] donc \(v\) peut s'écrire comme combinaison linéaire des éléments de \(\mathcal{F}\setminus \{v_j\}\). Ceci signifie que la famille \(\mathcal{F}\setminus\{v_j\}\) engendre aussi \(V\). Pour démontrer le dernier résultat, on procède par récursion. Si la famille génératrice \(\mathcal{F}=\{v_1,\dots,v_r\}\) de \( V \) est libre, elle est une base et on pose \(\mathcal{B} = \mathcal{F}\). Si ce n'est pas le cas, il existe un vecteur \(v_j\) qui peut s'écrire comme combinaison linéaire des autres \(v_k\) (\(k\neq j\)). La première partie du théorème nous dit que \(\mathcal{F}\setminus \{v_j\}\) est une famille génératrice de \(V\). Si elle est libre alors elle est une base et on pose \(\mathcal{B} = \mathcal{F}\setminus \{v_j\}\). Sinon, on répète l'argument avec \(\mathcal{F}\setminus \{v_j\}\) pour trouver un vecteur \(v_\ell\) avec \( \ell \neq j\) qui peut s'écrire comme combinaison linéaire des autres \(v_k\) (\(k\neq j, \ell\)). La première partie du théorème nous dit que \(\mathcal{F}\setminus \{v_j, v_\ell\}\) est une famille génératrice de \(V\). Si elle est libre alors elle est une base et on pose \(\mathcal{B} = \mathcal{F}\setminus \{v_j, v_\ell\}\). En répétant cette procédure, on trouve une famille génératrice et libre \(\mathcal{B}\) de \(V\) incluse dans \(\mathcal{F}\), comme on voulait démontrer.
Ce dernier résultat fournit un algorithme pour construire une base d'un espace vectoriel \(V\), du moment que l'on possède une famille génératrice. Le premier pas de l'algorithme n'est pas forcément facile à calculer: on va voir dans la suite une simplification de cet algorithme d'extraction.
Algorithme d'extraction d'une base à partir d'une famille génératrice
Soit \(\mathcal{F}=\{v_1,\dots,v_r\}\) une famille génératrice finie de \(V\).
Exemple: Soit \(V=\mathbb{R}^4\), et soit \(W\subseteq V\) le sous-espace défini par \[W=\mathrm{Vect}\{\boldsymbol{w}_1,\boldsymbol{w}_2,\boldsymbol{w}_3\}\,,\] où \[ \boldsymbol{w}_1= \begin{pmatrix}3 \\-1 \\0 \\2 \end{pmatrix}\,,\qquad \boldsymbol{w}_2= \begin{pmatrix}5 \\-4 \\-4 \\3 \end{pmatrix}\,,\qquad \boldsymbol{w}_3= \begin{pmatrix}1 \\2 \\4 \\1 \end{pmatrix}\,. \] Remarquons que \(\{\boldsymbol{w}_1,\boldsymbol{w}_2,\boldsymbol{w}_3\}\) n'est pas libre puisque \(\boldsymbol{w}_2=2\boldsymbol{w}_1-\boldsymbol{w}_3\). Donc \(\boldsymbol{w}_2\) est ''superflu'', et on peut le retirer, sans changer \(W\): \[W=\mathrm{Vect}\{\boldsymbol{w}_1,\boldsymbol{w}_3\}\,.\] Maintenant, \(\boldsymbol{w}_1\) et \(\boldsymbol{w}_3\) n'étant pas colinéaires, \(\mathcal{B}:= \{ \boldsymbol{w}_1,\boldsymbol{w}_3 \} \) est une base de \(W\).