II.2 Fonctions
Notion de fonction

Dans cette section, on rappelle quelques définitions élémentaires relatives à la notion de fonction. Même si dans ce cours on s'intéressera surtout à des fonctions réelles d'une variable réelle, ce que l'on présente ici est très général et s'applique à des situations très diverses, comme par exemple l'étude des applications linéaires en algèbre linéaire.

Soient \(A,B\) deux ensembles quelconques non-vides. Une fonction de \(A\) dans \(B\), \[f:A\to B\,,\] est une règle qui associe à chaque élément \(x\in A\) un (et un seul) élément \(y\in B\), appelé l'image de \(x\) (par \(f\)), et on écrit \[y=f(x)\,.\] On dit alors que \(x\) est une préimage (ou un antécédent) de \(y\).

Lorsque \(x\in A\) est associé à \(y\in B\), on pourra penser à cette association comme à une ''flèche de \(x\) vers \(y\)''. En termes de flèches, une fonction de \(A\) dans \(B\) est donc bien définie une fois que l'on a, pour chaque \(x\in A\), exactement une flèche reliant ce \(x\) à un (et un seul) \(y\in B\). En particulier, il ne peut pas y avoir deux flèches sortant d'un \(x\).

Pour des raisons évidentes, \(A\) est parfois appelé l'ensemble de départ, et \(B\) l'ensemble d'arrivée. Pour bien indiquer l'ensemble de départ et d'arrivée d'une fonction, on écrit \[\begin{aligned} f:A& \to B\\ x&\mapsto y=f(x)\,. \end{aligned}\]

Exemple: Considérons \(A=\mathbb{Z}\), \(B=\{\bigstar,\clubsuit,\spadesuit,\blacklozenge\}\), et définissons la fonction \(f:A\to B\) comme suit: pour \(x\in A\), \[ f(x):= \begin{cases} \bigstar&\text{ si }x\leqslant -17\,,\\ \clubsuit&\text{ si }-17\lt x \lt -16 \,,\\ \spadesuit&\text{ si }-16\leqslant x \leqslant 1 \,,\\ \blacklozenge&\text{ si } x\gt 1 \,. \end{cases} \] Ici, \(\bigstar\) et \(\blacklozenge\) possèdent chacun une infinité de préimages, \(\spadesuit\) possède \(18\) préimages, et \(\clubsuit\) ne possède aucune préimage.

Ensemble image

Il est naturel de considérer, pour commencer l'étude d'une fonction, de déterminer quels sont les éléments de l'ensemble d'arrivée qui possèdent au moins une préimage:

L'ensemble image de \(f\) est défini par \[ \mathrm{Im} (f):= \bigl\{y\in B\,:\,\exists x\in A\text{ tel que }f(x)=y\bigr\}\,. \]

Par la définition de fonction, une flèche sort de chaque \(x\in A\); mais tous les \(y\in B\) ne sont pas forcément atteints par une flèche. L'ensemble image est donc constitué des éléments de l'ensemble d'arrivée qui sont atteints par au moins une flèche. On peut imaginer \(\mathrm{Im} (f)\) obtenu en ''balayant'' tout \(A\) avec la variable \(x\), et en observant tous les \(y=f(x)\in B\) obtenus.

Exemple: Soit \(A=\{1,2,3,4\}\), \(B=\{\Delta, \Gamma, \Psi\}\), et \(f:A\to B\) la fonction définie par: \[ f(1)=\Delta\,,\quad f(2)=\Gamma\,, \quad f(3)=\Delta\,,\quad f(4)=\Gamma\,. \] Alors \(\mathrm{Im} (f)=\{\Delta,\Gamma\}\) (puisque \(\Psi\) n'a pas de préimage).

Surjection

Par définition, l'ensemble image d'une fonction \(f:A\to B\) est un sous-ensemble de \(B\), \(\mathrm{Im} (f)\subset B\), et il est naturel de considérer les fonctions pour lesquelles il coïncide exactement avec \(B\):

\(f:A\to B\) est surjective si \(\mathrm{Im} (f)=B\), c'est-à-dire si chaque élément de l'ensemble d'arrivée possède au moins une préimage.
Une fonction est surjective si chaque élément de l'ensemble d'arrivée est atteint par au moins une flèche; en d'autres termes, si les flèches qui partent de \(A\) ''remplissent bien'' tout l'ensemble d'arrivée.

Exemple: La fonction \[\begin{aligned} f:\mathbb{Z}&\to \mathbb{Z}\\ x&\mapsto f(x)=x+1 \end{aligned}\] est surjective. En effet, prenons un \(y\in\mathbb{Z}\) quelconque. Si on considère \(x:= y-1\), alors \[f(x)=x+1=(y-1)+1=y\,,\] donc \(x\) est antécédent de \(y\), et donc \(y\in \mathrm{Im} (f)\).

Exemple: Soit \(A\) l'ensemble des étudiant.e.s dans l'auditoire, et soit \(B=\mathbb{N}=\{0,1,2,3,\dots\}\). Considérons \[\begin{aligned} f:A&\to B\\ x&\mapsto f(x)\,, \end{aligned}\] où \(f(x)\) est le nombre de frères et soeurs de \(x\). Pour trouver \(\mathrm{Im} (f)\), on peut procéder comme suit: pour tout \(y\in B\), on pose la question: ''Qui possède exactement \(y\) frères et soeurs?'' Si au moins une main se lève, c'est que \(y\in \mathrm{Im} (f)\). Dès qu'on a un \(y\) pour lequel aucune main se lève, c'est que \(f\) n'est pas surjective. Pour s'assurer facilement que \(f\) n'est effectivement pas surjective, on peut simplement poser la question: ''Est-ce que quelqu'un a plus de \(100\) frères et soeurs?'' Si personne ne lève la main, c'est que \(\mathrm{Im} (f)\subset\{0,1,2,3,\dots,99,100\}\). (Si on sonde l'auditoire, on observe probablement quelque chose comme \(\mathrm{Im} (f)=\{0,1,2,3,4,5\}\).)

Toute fonction peut être transformée en une fonction surjective, en modifiant simplement son ensemble d'arrivée. En effet, si \[\begin{aligned} f:A&\to B\\ x&\mapsto f(x) \end{aligned}\] n'est pas surjective, c'est que son ensemble d'arrivée \(B\) est ''trop grand'': \(\mathrm{Im} (f)\) est un sous-ensemble stricte de \(B\). On peut alors retirer les éléments de \(B\) qui ne sont pas dans l'image, et obtenir une fonction surjective. Plus précisément, \[\begin{aligned} \tilde{f}:A&\to \mathrm{Im} (f)\\ x&\mapsto f(x) \end{aligned}\] est surjective.

Exemple: La fonction \[\begin{aligned} f:\mathbb{N}&\to \mathbb{N}\\ x&\mapsto 2x \end{aligned}\] n'est pas surjective, puisque si \(y\in\mathbb{N}\) est impair, il ne possède pas de préimage. Ici, \(\mathrm{Im} (f)=\mathbb{N}_{\text{pairs}}\), l'ensemble de tous les entiers positifs pairs. En restreignant son ensemble d'arrivée à \(\mathrm{Im} (f)\), on obtient \[\begin{aligned} \tilde{f}:\mathbb{N}&\to \mathbb{N}_{\text{pairs}}\\ x&\mapsto 2x\,, \end{aligned}\] qui est surjective.

Injection

Une deuxième chose naturelle à considérer, pour une fonction donnée, est de savoir si celle-ci sépare les points, c'est-à-dire si des points différents, dans l'ensemble de départ, ont des images différentes:

\(f:A\to B\) est injective si \(x\neq x'\) implique \(f(x)\neq f(x')\).
Si la fonction est injective, des flèches qui partent de points différents doivent arriver en des points différents!

Exemple: Considérons \[\begin{aligned} f:\mathbb{Z}&\to \mathbb{N}\\ x&\mapsto x^2\,. \end{aligned}\] Puisque \(f(-2)=4\) et \(f(2)=4\), \(f\) n'est pas injective.

Une caractérisation équivalente de l'injectivité, plus commode à manipuler dans la pratique, est la suivante: \(f\) est injective si \(f(x)=f(x')\) implique \(x=x'\).

Exemple: Montrons que \[\begin{aligned} f:\mathbb{N}&\to \mathbb{Q}\\ x&\mapsto \frac{x^2}{x^2+1} \end{aligned}\] est injective. Pour ce faire, prenons deux éléments \(x,x'\in\mathbb{N}\), et supposons que \(f(x)=f(x')\), c'est-à-dire \[ \frac{x^2}{x^2+1}= \frac{{x'}^2}{{x'}^2+1}\,. \] Quelques manipulations montrent que cette dernière identité est équivalente à \[ x^2-{x'}^2=0\quad \Leftrightarrow \quad (x-x')(x+x')=0\,, \] qui n'est vérifiée que si au moins une des parenthèses est nulle. Or la première est nulle si \(x=x'\), et puisque \(x,x'\in\mathbb{N}\), la deuxième ne peut s'annuler que si \(x=x'=0\). Dans tous les cas, on a bien montré que \(f(x)=f(x')\) implique \(x=x'\), donc \(f\) est injective.

Bijection

Voyons ce qui se passe lorsqu'une fonction possède en même temps les deux propriétés introduites dans les sections précédentes.

Une fonction \(f:A\to B\) est bijective si elle est à la fois injective et surjective.

L'intérêt d'une fonction bijective est qu'on peut l'inverser, ce qui signifie revenir de l'ensemble image à l'ensemble de départ, sans ambiguïté.

En effet, supposons que \(f:A\to B\) est bijective, et fixons un élément quelconque de l'ensemble d'arrivée, \(y\in B\).

  1. Comme \(f\) est surjective, \(y\) possède au moins une préimage.
  2. Comme \(f\) est injective, \(y\) possède au plus une préimage.

On en déduit que \(y\) possède exactement une préimage dans l'ensemble de départ: on la note \(f^{-1}(y)\). Avoir associé à tout \(y\in B\) un unique élément \(f^{-1}(y)\in A\) signifie que nous avons défini une fonction de \(B\) dans \(A\). Puisque cette fonction permet d'obtenir l'unique préimage de chaque élément de \(B\), on l'appelle la réciproque de \(f\): \[\begin{aligned} f^{-1}:B&\to A\\ y&\mapsto f^{-1}(y) \end{aligned}\] Par définition, la réciproque permet de récupérer la préimage: \[ f^{-1}(f(x))=x\,\qquad \forall x\in A\,. \] Mais aussi, \[ f(f^{-1}(y))=y\,\qquad \forall y\in B\,. \]

Remarque: L'utilisation du symbole ''\(f^{-1}\)'', pour la réciproque, est largement répandue, et nous l'utiliserons, mais elle peut prêter à confusion. En effet, pour des fonctions numériques, \(f^{-1}(y)\) ne doit en aucun cas être confondu avec \(f(y)^{-1}\), qui signifie \(\frac{1}{f(y)}\)!

Exemple:

Montrons que la fonction \[\begin{aligned} f:{\color{blue}\mathbb{Q}}&\to{\color{magenta}\mathbb{Q}}\\ x&\mapsto f(x)=\frac{x-5}{3} \end{aligned}\] est bijective. (On utilise des couleurs uniquement pour distinguer les ensembles de départ et d'arrivée.)

Maintenant que \(f\) est bijective, donnons sa réciproque explicitement: \[\begin{aligned} f^{-1}:{\color{magenta}\mathbb{Q}}&\to{\color{blue}\mathbb{Q}}\\ y&\mapsto f^{-1}(y)\,. \end{aligned}\] L'expression de \(f^{-1}(y)\) a en fait été trouvée plus haut: il s'agit d'isoler \(x\) dans \(y=f(x)\), ce qui donne \(x=f^{-1}(y)=3y+5\).

Quiz II.2-1 : On considère les ensembles \(A=\{1,2,3\}\), \(B=\{a,b,c,d\}\) Quelles règles ci-dessous définissent une fonction \(f:A\to B\)?
  1. Il n'existe aucune telle fonction, car \(B\) contient plus d'éléments que \(A\).
  2. \(f(1)=d\), \(f(3)=a\), \(f(2)=a\)
  3. \(f(a)=d\), \(f(b)=2\), \(f(c)=3\)
  4. \(f(a)=1\), \(f(b)=2\), \(f(3)=c\)
  5. \(f(1)=f(2)=f(3)\)
  6. \(f(1)=c\), \(f(2)=a\), \(f(3)=f(1)\)
  7. \(f(1)=a\), \(f(2)=b\), \(f(3)=\{c,d\}\)
Quiz II.2-2 : Vrai ou faux? L'ensemble image d'une fonction \(f:A\to B\), c'est
  1. l'ensemble \(B\)
  2. le graphe de \(f\)
  3. l'ensemble des \(y\in B\) pour lesquels il existe au plus un \(x\in A\) tel que \(f(x)=y\)
  4. l'ensemble des \(y\in B\) tels que \(f^{-1}(y)\in A\)
  5. l'ensemble des \(x\in A\) pour lesquels \(f(x)\in B\)
  6. l'ensemble des éléments de \(B\) qui possèdent au moins deux préimages
  7. l'ensemble des \(y\in B\) tels que \(\{x\in A\,|\,f(x)=y\}\neq\varnothing\)
Quiz II.2-3 : Vrai ou faux? Si \(f:A\to B\) est injective, alors
  1. l'ensemble \(B\) contient plus de deux éléments
  2. l'ensemble des \(y\in B\) pour lesquels il existe un \(x\in A\) tel que \(f(x)=y\) est fini
  3. l'ensemble des \(x\in A\) pour lesquels \(f(x)\in B\) possède au plus un élément
  4. si \(x,x'\in A\), alors \(f(x)=f(x')\) si et seulement si \(x=x'\).
  5. si \(x,x'\in A\), alors \(f(x)=f(x')\) seulement si \(x=x'\).
Quiz II.2-4 : Si \(f:A\to B\) n'est pas injective, alors
  1. elle est surjective
  2. elle n'est pas bijective
  3. \(f(x)=f(x')\) dès que \(x\neq x'\)
  4. il existe au moins une paire d'éléments de \(A\), distincts, ayant la même image.